Voici une entrevue avec M. Aziz Salmone Fall que j'ai trouvée sur le site du Regroupement Général des Sénégalais du Canada (RGSC). Je la partage avec vous (Tous droits réservés par le RGSC).
Son engagement politique est tout simplement remarquable.
10 décembre 2005
Entrevue avec :
M. Aziz Salmone Fall
(que ses amis appelent Z tout simplement)
Aziz S. Fall est aussi reconnu par sa grande disponibilité ainsi que pour son intégrité, son professionnalisme, son humilité et sa simplicité. Mais peu de gens ici connaissent son passé de batteur dans les années 1975 à 80, alors qu’il jouait avec son frère guitariste pour le groupe « Damels », l’un des premiers groupes de Jazz fusion au Sénégal. Durant des années, ce groupe animait les intermèdes à la télé.
M. Aziz S. Fall, merci infiniment de bien vouloir répondre « à cœur ouvert » à nos nombreuses questions afin de nous permettre de mieux vous connaître et partager votre expérience avec vos frères et sœurs sénégalais et sénégalophiles. Nous savons qu’il n’est pas toujours facile de se livrer à cœur ouvert comme vous allez le faire, mais quelle joie de pouvoir partager son expérience personnelle de vie et de permettre à la communauté sénégalaise de se connaître mieux!
RGSC : Racontez-nous un peu votre vie au Sénégal.
Je crois que j’ai eu une enfance et une adolescence heureuse, mais préoccupée de la condition de mon peuple. J’étais rebelle, portait un collier que je m’étais fabriqué, des chemises et des pantalons modernes, mais des babouches. Les parents découragés haussaient les épaules. Mais derrière mon air d’artiste et de philosophe blasé, je cachais ma vie politique clandestine, mon faux nom, mes convictions, mes contacts, etc. D’ailleurs, je n’en ai parlé publiquement pour la première fois que chez moi l’autre jour, devant quelques compatriotes, alors que nous recevions l’ex-ministre Awa Dia Thiam de passage à Montréal. Nous faisions partie de la même cellule et je ne l’avais pas revu depuis l’adolescence. À la fin de celle-ci, pour m’éloigner de ces groupes radicaux, mon père m’avait recommandé sous les conseils de notre voisin le Dr Diallo, compagnon de Cheikh Anta Diop, de prendre la carte du RND. Je le fis, mais n’ai jamais vraiment milité dans ce parti. J’ai d’ailleurs quitté le pays peu de temps après, et jusqu’à présent ne suis membre d’aucun parti politique.
J’ai eu une éducation stricte. Peu de gens savent en effet ce qui suit. Mon père descendant de monarques du Baol et du Cayor semblait avoir des réserves à nous voir jouer de la musique, d’autant qu’à cette période des années 70, les groupes, même modernes, chantaient les louanges des gens pour de l’argent, comme des griots. Mon frère Bouba qui était un surdoué musical, s’était fabriqué une guitare, jouait déjà des airs de Santana et voulait visiblement en faire sa carrière. Le père a tout découvert un jour où il est arrivé à l’improviste et où nous jouions, un classique du répertoire local, Mane Sane Gissé, mais avec une touche jazz. Agréablement surpris, mais prudent, il nous a autorisé à ne jouer que la fin de semaine et à condition qu’il n’y ait aucune incidence négative sur notre cursus scolaire. Nous devions avoir autour de 11 –12 ans, jouions autodidactes aussi bien que des adultes, et on nous regardait dans le quartier avec curiosité. Nous sommes passés à la télé noir et blanc à Kaleidoskope à cet âge là avec des instruments acoustiques, sous le nom des Salmones -c’était l’époque des Jackson Five-. Jusque là c’était un jeu. Puis un jour, Tanor Dieng, qui était à l’époque instituteur de mon frère et se lançait comme impresario du Sahel, a convaincu notre père de lâcher un peu du lest et nous laisser essayer. Mais papa avait peur du milieu, de la drogue, de l’alcool et des fréquentations. Nous avons quand même formé un quartet avec comme bassiste Badou Diop et Jean Louis Thiam guitare d'accompagnement. Et dès que notre père allait chez sa co-épouse ou en voyage, on transformait la maison en salle de répétition, avec les moyens du bord, ressuscitant des magnétos et des transistors et en faisant des amplis. Moi j’avais construit ma propre batterie au début. Je suis reconnaissant à notre mère qui nous a beaucoup enduré. La vie privée était finie, bien des jeunes des quartiers environnants encerclaient la maison. Il y avait d’ailleurs peu de prestation en public : l’université, quelques lycées et évènements communautaires et une seule fois au théâtre Sorano, qui fut d’ailleurs un fiasco. Nous avons ensuite enregistré, dans des conditions modestes et fait, je crois bien, le premier vidéo play back de la TV sénégalaise avec Maguette Wade. La TV n’avait même pas le moyen, ce jour là, d’avoir des enceintes pour diffuser en plein air, et c’est avec un haut-parleur rustique dominé par le vent de la plage de Ngor, que nous devions reproduire notre propre musique. C’était plus dur pour moi, car si les autres n’étaient pas branchés à un ampli et devait correctement mimer les notes, je me devais, moi, de jouer à la batterie, pas trop fort pour qu’on puisse entendre tous. Des années durant, des extraits de cette cassette passèrent à la moindre panne ou interlude, y compris dans des pays voisins. On n’a jamais reçu une royalty dessus, on aurait peut être été riche. Je sais par contre que nous avons eu une influence discrète mais réelle sur bien des jeunes musiciens ou mélomanes, et même des artistes devenus célèbres depuis, comme Ismaël Lo, Cheikh Tidjane Tall, Wasis Diop Habib Faye de Youssou Ndour ou feu Prosper du Xalam… Aujourd’hui, parfois quand je peux me le permettre, je joue quelques instruments et les enregistre sur un logiciel multipistes. Je n’ai jamais perdu espoir de produire quelque chose juste pour le fun… mais je n’ai vraiment pas le temps…un jour peut être comme les gars de Buena Vista Social Club autour de 75 ans…si je tiens jusque là…
RGSC : Avez-vous voyagé avant d'arriver au Canada?
Oui, comme je l’ai dit dans ces pays arabes, mais aussi quelques escales en Europe et un bref séjour aux îles canaries.
RGSC : Quel fut votre cheminement pour arriver au Canada ? Pourquoi l'avoir choisi ?
Mes parents voyant ma politisation grandissante étaient convaincus que l’université de Dakar serait potentiellement dangereuse. D’ailleurs l’année avant le Bac, j’avais sans permis ni permission, pris la voiture de mon père pendant qu’il faisait la sieste, pour livrer des tracts de grève au pavillon de droit à l’université. Dans le virage, il y avait un type à motocyclette dans mon espace et en l’évitant, j’ai mordu sur le sable glissant. À l’allure où j’allais, j’ai fait un tonneau, abattu un des rares arbres de l’endroit. La voiture était une perte totale, je suis sorti indemne par la vitre arrière. Quand mon père a vu la voiture il a arrêté de me gronder, j’aurai dû y passer. Bref, ce fut un bon argument pour aller étudier ailleurs. Je voulais justement ne pas partir en France, comme bien de mes collègues. Une aversion pour le néo-colonialisme probablement. J’avais entendu parler de la déportation des acadiens et avais une certaine sympathie pour le Canada, puisque enfant je lisais les aventures de Blek le Roc (un rebelle patriote canadien français, d’ailleurs méconnu ici en raison de la censure canadienne). De plus un aîné, voisin et parent éloigné Lamine Fall y était depuis un petit moment et réussissait bien, tout cela plaida ma cause. J’ai pu dès l’obtention de mon Bac aller à Moncton au Nouveau Brunswick. Il y avait alors Dany Senghor, le seul sénégalais qui venait de quitter la ville, j’ai demandé à prendre sa chambre à la résidence universitaire.
C’était en 1982 et pour moi soudain une grande liberté, car malgré la musique etc., nos parents ne m’autorisaient que très exceptionnellement à sortir le soir ou à voyager seul. Ce fut donc l’aventure. La photo du prospectus universitaire donnait l’impression que Moncton était une grande ville. Comme j’arrivais par New York et Montréal, j’avais déjà une idée démesurée des villes, et je fus vite déçu de la taille de Moncton. Mais elle était très attachante, un îlot de francophonie, qui venait de perdre son journal local Evangéline, alors que l’université sortait d’une longue grève. Premier choc. Il y avait un ratio surprenant de gais, et beaucoup de filles par rapport aux hommes. D’ailleurs, c’est là au kachot, la boite du campus, qu’à ma première soirée, trois filles sont venues, tour à tour me demander à danser. Je croyais même que c’était une initiation de mes collègues de la Fac. Il n’en était rien. Quand on vient d’une époque où le bal obligeait d’asseoir les filles d’un côté et les garçons de l’autre, (et où il fallait se faire d’abord refuser une danse pour en obtenir la prochaine, pendant qu’un adulte allumait brusquement la lumière pour décourager les initiatives trop cavalières), une telle liberté est pour le moins inattendue.
J’avais vu la neige à Beyrouth, mais je me rappelle bien de la première fois ou j’ai gelé. J’étais allé avec un copain faire des courses en espadrille fin octobre et à notre retour, le mercure était tombé sous 0. Je me suis aperçu que quand je riais mon sourire restait figé comme un rictus. Arrivé en résidence, on a mis nos pieds transis devant le calorifère. Chose à ne pas faire. On apprend vite. Et comme je suis très mince, depuis lors l’hiver, je disparais sous bien des épaisseurs.
Aujourd’hui je fais du ski de fond, et résiste relativement bien. Je préfère toutefois le printemps à toutes les saisons.
J’ai tout de suite adopté le pays, y compris l’hiver que je continue d’apprivoiser surtout à compter de février. C’est un pays magnifique, avec une population attachante dont certains pans vit encore les complexes d’infériorités de toute nation qui a été aliénée et qui s’affirme. Les femmes semblent à prime abord plus ouvertes que les hommes, surtout si on ne partage pas le goût prononcé pour le hockey, la bière ou les voitures.
J’ai tout de suite sympathisé avec la cause des amérindiens, mis en réserves ou classifiés sur différents statuts, car ils ont servi à créer le modèle d’apartheid en Afrique du Sud. J’ai été dégoûté de voir que la caisse de dépôt de placement du Québec, comme bien d’autres intérêts économiques et politiques soutenaient l’apartheid. Il y avait alors des restrictions aux étudiants étrangers de faire de la politique, et les associations étudiantes africaines de l’époque respectaient relativement ces critères. Avec un groupe d’amis, j’ai alors fondé le GRILA (groupe de recherche et d’initiative pour la libération de l’Afrique) en 1984, et on s’est attelé à combattre ouvertement tous les lieux qui soutenaient l’apartheid. Très vite le GRILA a pris de l’importance, "backé" par l’ANC, et s’alliant à des organismes locaux. Nous avions la préoccupation qu’il ne fallait pas que les africains fassent partie du problème en étant ici une fuite de cerveau ou une simple courroie de reproduction de nos régimes politiques. C’était l’époque où l’ANC d’Afrique du Sud ou les mouvements de libération contre le colonialisme portugais ou pro-apartheid étaient ici considérés terroristes, mais aussi l’année de l’avènement de la révolution Sankariste en Haute-Volta qui devint Burkina Faso. Le travail s’est donc intensifié et diversifié. C’est ainsi que nous avons contribué à influencer la politique canadienne qui a fini par devenir le fer de lance de la lutte anti-apartheid en Occident, puisque Joe Clark, Walter Mc Lean et Brian Mulroney ont adopté notre plate-forme anti-apartheid.
Nous avons donc vécu l’Afrique ici, tout en apprenant à connaître le Québec, à aider ses aspirations à l’autodétermination. Ce travail d’activisme m’a permis de sillonner le Québec et d’aller à la rencontre de sa société civile, et obtenu de faire de Montréal une ville anti-apartheid et même d’avoir un parc nommé Mandela, face au métro Plamondon.
RGSC : Pourriez-vous nous présenter votre famille?
Mon père Salmone Fall a grandi élevé par sa grand-mère à St- Louis, et a peu connu son père, gazé à la première guerre mondiale. Il a fait la seconde guerre mondiale dans la marine, a été coulé à Dunkerque et a survécu avec une poignée de soldats dans les eaux froides. De retour en Afrique, comme bien des jeunes panafricanistes, il a vite compris que la France ne favoriserait pas de grands ensembles politiques ni ne permettrait d’indépendance totale. Il s’est alors opposé puis a fuit chez son ami Lumumba au Congo, qui l’a naturalisé congolais et envoyé comme ambassadeur au Caire. Quand Lumumba a été assassiné, mon père a rapatrié sa femme Pauline et ses enfants au Caire. C’est là qu’il a rencontré ma mère. Elle venait de finir ses études d’histoire et géo à l’université du Caire et travaillait dans une agence de traduction durant la période des vacances. L’année d’avant Kwamé Nkrumah avait épousé une égyptienne, et donc le mariage de mes parents sous les auspices de Nasser a été un autre évènement cairote. Ensuite le Sénégal lui a donné sa nationalité et nommé en poste en Arabie saoudite et au Liban. Mais il savait qu’il ne pourrait pas tenir longtemps avec le régime senghorien et il a vite démissionné. Il a vendu ses biens et hypothéqué sa maison pour se lancer dans une entreprise de camions. A l’époque, le secteur était un monopole du régime et son affaire a coulé à pic un an plus tard. Il y a tout perdu, et ce fut une période dure où ma mère a donc été contrainte de travailler pour que la famille joigne les deux bouts, ce qu’elle fit comme professeur d’arabe au Lycée des jeunes filles de Kennedy et formatrice à l’école Normale supérieure. Maman est une femme très pieuse, de santé délicate, qui vit depuis sa retraite quasiment cloîtrée dans sa maison à prier, surtout pour nous. Elle nous a donné une solide formation coranique, mais avec une très grande ouverture d’esprit en ce sens qu’elle a accepté de débattre philosophiquement des mystères métaphysiques et des paradoxes de notre religion. Mes parents sont vraiment mes modèles, et je suis fier de les aider à mon tour. Leur intégrité, leur humanisme et leur volonté de répandre le bien autour d’eux m’influencent quotidiennement. Nous leur sommes gré mon frère Malick qui vit à Milan, ma sœur Fatma qui vit à Dakar et mon frère Bouba qui est ici avec moi. Nous sommes une famille très unie, d’une part par le caractère métisse de notre éducation et l’attachement que nous nous portons.
RGSC : Parlez-nous de votre domaine professionnel
Je suis politologue spécialisé en relations internationales. J’ai enseigné dans différentes universités (Sherbrooke, Trois Rivières, McGill et l’UQAM). En réalité, cette discipline est pour moi le prétexte à une ouverture à la multidisciplinarité. Je crois que je resterais un éternel étudiant. Bien sûr, il peut être flatteur de s’entendre dire qu’on a un savoir encyclopédique, mais moi je sais que plus j’apprends, plus je découvre combien j’ignore bien des choses. Alors je partage et continue d’apprendre. Comme consultant, j’apparais souvent dans les média et des conférences, mais j’ai un rôle plus actif et caché auprès de partis et d’hommes politiques ici et en Afrique. Dans le cadre du GRILA, je coordonne la première campagne africaine contre l’impunité -l’Affaire Sankara- avec 21 avocats et plusieurs personnalités comme Jean Ziegler, Edgar Pisani, etc. Après avoir épuisé les recours nationaux, l’affaire est pendante aux Nations Unies, où nous avons gagné sur l’admissibilité. J’ai coordonné le réseau contre l’apartheid, et je suis membre de quelques conseils d’administration, notamment le Centre de recherche Ryerson et la fondation Aubin que je préside.
RGSC : Quels sont vos intérêts et passions ? Qu'aimez-vous particulièrement?
L’Afrique, l’internationalisme, la justice sociale, ma famille, la nature.
Je me suis impliqué dans la vie politique d’une bonne quinzaine de pays africains. Au Sénégal, j’ai d’abord participé à un front pour l’alternance qui a contribué à la chute du régime Diouf. J’ai ensuite fondé avec mon camarade Ndongo Faye le mouvement des assises de la gauche au Sénégal, et une formidable équipe l’a construit. C’est dans l’histoire de la sous-région, le plus vaste projet de regroupement des partis de la mouvance progressiste au Sénégal qui tente de faire travailler ensemble plus de 80 formations politiques (www.reewmi.org). C’est un projet qui me tient à cœur. Au niveau panafricain, j’ai rédigé la première critique annotée du NEPAD, car je considère que l’Afrique fait fausse route avec ce projet et devrait plutôt avec l’Union africaine se doter d’un plan continental de développement tourné sur ses potentialités internes du continent d’abord, dans une perspective panafricaniste et autocentrée. J’aime la pensée critique de Marx, Cheikh Anta Diop, Ché Guévara, Cabral, Samir Amin, Kocc Barma Stephen Hawking, Hubert Reeves. Je crois appartenir à une génération multidisciplinaire d’internationalistes, hélas en voie de disparition. J’adore l’égyptologie l’astrophysique, la psychologie, l’écologie, la musique et le Foot-Ball. Je suis émerveillé par les dimensions de nos univers, par l’infiniment petit comme l’infiniment grand et peux passer une éternité à contempler une abeille travailler.
RGSC : Vous êtes président du GRILA (Groupe de Recherche et d’Initiatives pour la Libération de l’Afrique, www.grila.org ), pourriez-vous nous parler de cette organisation.
Non, je n’y suis que membre, il n’y a d’ailleurs pas de président au GRILA. C’est un groupe qui fonctionne sur le modèle de collectifs (sorte de comités sur des problématiques ou des évènements ponctuels). Le GRILA est une nébuleuse politique qui a des sections à Montréal, Toronto, Niamey, Dakar et Paris et beaucoup de sympathisants de par le monde. Nous ne sommes pas subventionnés et tous les camarades qui viennent autant d’Afrique qu’ils peuvent être chinois ou occidentaux y mettent du leur et ça marche. Dans ces vingt ans nous avons réalisé beaucoup de choses, des luttes pour la libération de prisonniers politiques à la confection de matériel électoral pour des partis politiques amis; du travail de lobby, ou de dénonciation que ce soit l’apartheid, de Shell au Nigeria, le pillage au Congo; la promotion de l’émancipation des femmes et le changement des mentalités masculines. Nous avons 2 émissions de radio, celle de Montréal s’appelle Amandla et émet en français et en anglais sur le web et sur bande FM le mercredi 19 h au 90,3. Nous réagissions aussi à des crises, comme récemment dans l’affaire Mailloux.
RGSC : Quelles sont vos "idoles"? Quelles personnes admirez-vous profondément?
Avec mes parents, Imhotep, Lamine Senghor, Mandela, Amin, Ché Guevara, Rosa Luxembourg, Cheik Anta Diop, Samory Touré, mais surtout les millions d’anonymes qui luttent dans l’adversité et le dénuement silencieusement en Afrique et qui pourtant gardent une vitalité et un optimisme existentiel.
RGSC : De quelle façon avez-vous entendu parler du RGSC ? Comment vous y êtes-vous intéressée?
Incidemment, j’étais à son assemblée de création. Ceux qui s’en souviennent savent que je m’étais objecté sur la stratégie, en arguant qu’il fallait d’abord regrouper les délégués de chaque association des villes canadiennes. Le temps a finalement donné raison à l’approche de ceux qui ont finalement bâti et fait évoluer le regroupement. En raison de mon groupe, dont une des exigences est de ne pas appartenir à une association nationale pour les postes d’autorité, je ne peux donc y participer pleinement.
RGSC : Enrichi de votre expérience personnelle, quels conseils donneriez-vous aux nouveaux arrivants?
Rester soi-même tout en apprenant à s’intégrer, et si on fait des enfants, leur inculquer aussi nos valeurs les plus nobles. Il faut aussi respecter les valeurs de l’accueillant. Le Québec est en construction et si ces arrivants veulent rester et y participer, il faut donc s’engager et revendiquer sa place. Autrement, il suffit de s’adapter en respectant les gens et en se faisant respecter. Il ne faut en tous cas jamais déconnecter de l’Afrique. Il faut toujours se demander en quoi est ce que je puis être utile pour ceux qui sont sur le continent. Il faut aussi apprendre à connaître et respecter les africain-américan-E-s de la diaspora. Aux jeunes, je dis de se méfier de la drogue et des fréquentations douteuses surtout basées sur l’argent.
RGSC : Quel message aimeriez-vous communiquer à l’ensemble des sénégalaises et sénégalais qui sont au Canada?
De continuer le remarquable travail, d’être les ambassadeurs de notre pays et de l’Afrique et savoir souvent que nul n’est prophète chez soi et que cet endroit peut être un tremplin. Je leur dit de suivre les traces des Bara Mbengue, Oumar Dioume, Ousseynou Diop, Aloïse Ndiaye, Khadiyatou Fall, Mountaga, Lamine Fall, Aloïse Ndiaye, Aly Sow, Amadou Oury, Aoua Ly, Gaby Sylla et bien d’autres qu’il serait long de mentionner ici, qui nous font honneur et qui sont des modèles.
Je demande à nos concitoyens de s’impliquer politiquement pour sortir le Sénégal de la crise. Et ceux qui sont progressistes de soutenir la démarche du MAG.
Un pays de paradoxes qui occupe historiquement de par ses cadres et ces moyens une position enviable dans plusieurs secteurs de la mondialisation. Je crois que le Sénégal, malgré son potentiel, s’est enfermé dans une impasse en raison de manque de projet de société, d’errements politiciens, de l’ajustement structurel et de plusieurs facteurs de sous-développement inhérents, autant à notre insertion dans la division internationale du travail que nos propres contradictions. Il y règne un mélange d’affairisme, d’instrumentalisation de la religion, de sexismes, de mœurs parfois rétrogrades (le social narcissisme, le culte ostentatoire, l’obscurantisme) et des petites politiques qui en font un cocktail défavorable aux masses et au développement. Notre peuple du fait d’avoir été exposé tôt à l’impérialisme y a contribué comme s’y est opposé. C’est une ambivalence qui perdure. C’est un pays qui perd un nombre considérable de cadres, cerveaux et forces productives. Le pays vit sous perfusion par les fonds des bailleurs de fonds et des sénégalais de l'extérieur, et le régime de l'alternance gère en fait l'enlisement, ce qui est bien, mais trés insuffisant au regard de la demande sociale et des exigences de notre développement. Un autre projet de développement, tourné sur le relèvement du niveau de vie des masses laborieuses, des femmes et des jeunes, est le seul qui pourrait infléchir le destin de notre pays en dehors des sentiers tortueux affairistes qu’il s’évertue d’emprunter. De toutes les façons, il n’y a pas pour moi peu d’espoir pour nos petits Etats en dehors du panafricanisme. Je crois que notre génération doit absolument réussir l’Union africaine. Le Sénégal en sera un des grands acteurs et bénéficiaire. J’espère surtout que les femmes et les jeunes y joueront un plus grand rôle.
Je vais peut être choquer des gens, ni l’un ni l’autre, je me sens plus citoyen planétaire pétri de valeurs sénégalaises, égyptiennes, canado-québécoises certes, mais sans avoir développé une appartenance frileuse à aucune d’elles. En fait, je crois que j’ai un petit problème avec les nationalismes, quoique dès qu’il s’agit de défendre la patrie, je suis aux premiers rangs. Je sais c’est paradoxal, mais je défends les autres pays d’Afrique comme si c’était les miens, au point même que des burundais, des sud-africains m’ont pris pour un des leurs. Disons que j’appliquerai bien pour un passeport transnational s’il existait!
RGSC : Quels sont vos rêves, vos ambitions et vos projets?
Je me suis fait quelques ennemis, mais j’aimerai tout de même pouvoir vivre assez longtemps pour continuer de participer à la construction de l’Afrique et à une autre mondialisation. Et si ce n’est pas trop demander, finir sur une île dans mes vieux jours et y vivre écologiquement de façon autosuffisante entouré de gens que j’aime.
RGSC : Nous aimerions que vous puissez formuler vous-même le mot de la fin de cette entrevue…
RGSC :
Encore un grand merci Aziz Fall d’avoir bien voulu participer à cette entrevue et d’avoir accepté de vous livrer ouvertement au profil de nos lecteurs sénégalais et sénégalophiles. Merci de nous avoir permis de vous connaître mieux.
Au nom du RGSC et de toutes vos consœurs et tous vos confrères africains, merci de combattre pour la justice et l’équité. Votre dévouement inlassable est un exemple à suivre et nous vous en sommes profondément reconnaissants.
Propos recueillis par Julie "Bintou" Bienvenue webmaster@rgsc.ca
3 commentaires:
Juste merci pour tout!!!
si on pouvait donner l'union africaine à un homme de valeur comme ça, entouré de gens comme lui, l'Afrique serait développée et respectée.
Merci pour vos commentaires encourageants. Effectivement, le continent ne manque pas d'élites compétents. Il nous faudra juste travailler sur nos institutions pour les rendre solides et instaurer la méritocratie pour mettre le meilleur élément pour un poste donné à ce poste. Cela a l'air extrêmement difficile à réaliser, mais comme le disait le statisticien Hans Rosling, "The seemingly impossible is possible", même pour l'Afrique. Je dirai plutôt "surtout pour l'Afrique" vu toutes les ressources humaines et naturelles qu'elle possède. Persévérons donc.
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