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La critique [evene]
par Mathieu Menossi
Le nouveau roman de l'écrivain Alain Mabanckou s'inscrit dans le prolongement direct de 'Verre cassé', sorti en 2005. Toujours aussi truculent, l'auteur y fustige le racisme des ignorants et l'exclusion la plus détestable. Celle de votre "frère", de celui qui vous ressemble. Celle de votre voisin, tel cet hypocondriaque acariâtre surnommé “Hippocrate”, un de ces Noirs qui ne sait pas qu'il est noir. Pour Mabanckou, le bazar, c'est celui des immigrés africains qui se retrouvent dans les rues animées du quartier parisien de Château Rouge. On y vend du poisson séché. On y course les femmes tout juste débarquées. Le bazar, c'est surtout celui des communautés, de cet enchevêtrement de parcours, d'origines, de valeurs et de cultures. Enfin, c'est aussi celui d'une vie personnelle sens dessus dessous. Celle de “Fessologue”, cet anti-héros amateur de la "face B" des femmes et largué par la sienne. Parce que l'habit fait définitivement le moine, il est devenu "Sapeur", membre de la prestigieuse "Société des Ambianceurs et des Personnes Elégantes". A l'attaque en ligne, l'écrivain préfère la subtilité de la dérision et le sarcasme burlesque. Mabanckou replace l'individu au coeur du problème pour mieux le responsabiliser. Et comme dans tous ses livres, le mal est insidieux et ordinaire. La bêtise, partagée par tous, entre gauloiseries anti-négraille et vieux préjugés colonialistes. Au comptoir du Jip's, ce bar afro-cubain du Ier arrondissement de Paris, les brèves coulent à flot : la dette coloniale, le communautarisme… et les femmes, toujours. Avec 'Black Bazar', Alain Mabanckou dresse le portrait d'une Afrique étonnamment désunie, explosant au passage la flopée des mythes importés et fabriqués depuis l'Europe.
Les Extraits
La première phrase
Quatre mois se sont écoulés depuis que ma compagne s'est enfuie avec notre fille et L'Hybride, un type qui joue du tam-tam dans un groupe que personne ne connaît en France, y compris à Monaco et en Corse.
- Qu'est-ce qu'il y a, hein ? Pourquoi c'est une honte ? Tu es contre les colons ou quoi ? Moi je dis que les pauvres colons il faut leur rendre hommage ! Y en a marre qu'on les accuse à tort et à travers alors qu'ils ont fait consciencieusement leur boulot pour nous délivrer des ténèbres et nous apporter la civilisation ! Est-ce qu'ils étaient obligés de faire tout ça, hein ? Tu te rends pas compte qu'ils ont bossé comme des dingues ? Y avait les moustiques, les diables, les sorciers, les cannibales, les mambas verts, la maladie du sommeil, la fièvre jaune, la fièvre bleue, la fièvre orange, la fièvre arc-en-ciel et que sais-je encore. Y avait tous ces maux sur nos terres d'ébène, notre Afrique fantôme au point que même Tintin était contraint de faire le déplacement en personne pour notre bien ! Donc c'est pas moi qui vais avoir une rancoeur contre les colons ! Tu es bien d'accord que Tintin a été chez toi au Congo ? Et ce Tintin est-ce qu'il s'est posé mille et une questions ? Est-ce qu'il n'est pas venu avec ses amis, un capitaine barbu qui insulte tout le monde et un petit chien blanc plus intelligent que toi et moi réunis, hein ?
- chapitre : Prologue - page : 15 - éditeur : Seuil - date d'édition : 2009 -
Morceau choisiC'est sans doute Couleur d'origine qui a accru mon obsession pour les derrières. Depuis cette première rencontre, je ne pensais plus qu'à ça. Ainsi, au lieu de marcher la tête relevée comme tout le monde, moij'avais désormais la manie de chasser dur regard les chutes de reins des passantes et de me livrer par la suite à des analyses très poussées. Je suis maintenant convaincu que comme pour les cravates on peut lire la psychologie d'un être humain par la façon dont il remue son arrière-train. Faut donc pas s'étonner qu'au Jip's la plupart de mes potes m'appelle 'Fessologue'. C'est Pierrot Le Blanc qui a inventé ce néologisme – mais moi je refus qu'on parle des néologismes parce qu'il n'y a rien de nouveau sous le soleil. La science du derrière existe depuis l'origine du monde quant Adam et Eve avaient tourné le dos au Seigneur.
- page : 66 - éditeur : Seuil - date d'édition : 2009 -
2 commentaires:
Visiblement tu as aimé. Les avis semblent contrastés. Avec Alain, c'est une vieille histoire d'amour.
Je prendrais le temps de le lire quand les esprits se seront apaisés. Quelques lecteurs me demandent mon avis. Ils attendront.
Alain a une thèse qui déplait à certains éléments de la communauté africaine. A savoir qu'il n'y a pas une communauté, mais des communautés noires en France. Il défend l'idée qu'il est ridicule de s'appuyer sur l'histoire afro-américaine, car cette dernière s'est construite sur un drame commun, la déportation, l'esclavage et la ségrégation raciale. C'est un dénominateur commun sur lequel tout afro-américain, quelque soit son parcours individuel se reconnait. C'est donc une base de rassemblement. Sachant que l'immigration récente africaine aux USA est minoritaire.
En France, le dénomminateur commun est la peau noire et les contrariétés relatives au racisme. Mais les parcours individuels dépassent ce point de rassemblement. Il n'y a pas de consensus autour de l'esclavage dans la dite communauté noire. Le colonialisme pourrait être un point de rapprochement...
Alain a défendu ce point de vue lors des recontres d'encre et d'exil à Beaubourg en décembre dernier. Et, de ce que j'ai compris, il meut ces personnages dans Black Bazar autour de cette thématique.
Jete-t-il un pavé dans la mare de la commuanuté ou sert-il des intérêts personnels? Ceux qui ne veulent se remettre en cause pencheront forcement sur la 2è solution... Et, toi qu'en penses-tu?
Ben en fait, je n'ai pas encore lu le roman, mais j'ai vu de nombreuses critiques (dont celle-ci), plusieurs extraits, puis j'ai écouté une interview d'Alain là-dessus à la radio et... j'étais pas mal d'accord avec lui (voir cet interview: http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=50962)
Je trouve que les intellectuels africains doivent avoir l'audace de pousser leurs analyses jusqu'au bout, que cela soit au sein de notre communauté comme en dehors. Et pour ce qui du premier point, c'est-à-dire recentrer le vrai débat au sein de notre communauté, entre nous, en famille, Alain fait sa part avec constance. N'est-ce pas que dans toutes les familles il y a des différences et des différents ? Pourquoi en faire un sujet tabou ? Dans le fond, ce qu'il explique nous le savons et nous le vivons tous - à savoir que tous les noirs ne sont pas pareils et qu'ils ont entre eux des préjugés. Qu'il en parle, je trouve cela bien. Maintenant est-ce qu'il l'a fait d'une bonne manière, je verrai quand je lirai le roman mais je suis confiante. J'attends en fait le format poche: un réflexe d'étudiante !
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