jeudi 19 février 2009

La mort du rat blanc

Je suis actuellement entrain de lire Le Procès-Verbal de J.M.G. Le Clézio et je me suis dit qu'il fallait que je partage quelques extraits du chapitre H. Le personnage, Adam Pollo, vit tout seul dans une maison abandonnée. Il est amnésique par rapport à son passé récent et se demande s'il est un déserteur ou un évadé d'un hopital psychiatrique... Dans ce chapitre, il a découvert la présence d'un rat dans la maison. Et évidemment, il ne souhaite pas vivre avec. Il faut donc l'éliminer. Je ne sais pas comment Le Clézio arrive à décrire un geste aussi anodin que l'élimination d'un rat dans une maison sur des pages et des pages et de manière aussi belle. Il faut croire que le talent naturel, cela existe bel et bien !

Extraits:

Il y avait quelque chose de nouveau dans la maison abandonnée, en haut de la colline. C'était un rat de belle taille, non pas noir comme la plupart des rats d'égout, mais plutôt blanc, entre le gris et le blanc, avec le museau, la queue et les pattes roses, et deux yeux bleus perçants, sans paupières, qui lui donnaient un air de courage.
...
Et soudain, devenu la peur, métamorphosé en le danger-pour-les-rats-blancs, Adam se leva; ce qu'il avait plein la tête, ce n'était plus de la colère, ni du dégoût, ni quoi que ce soit de cruel. C'était à peu près l'obligation de tuer.
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La petite bête myope, à moitié mutilée, bondit hors d'atteinte d'Adam. Elle n'existait déjà plus.
Au terminus de cette vie remplie de souvenirs très denses, elle était une sorte de fantôme pâle, aux formes vaporeuses, trouble comme un peu de neige; elle fuyait sur le sol marron, insaisissable et perpétuelle. Elle était un nuage lobulaire, ou bien un flocon de mousse douce, dissocié du sang et de la terreur, naviguant à la surface des eaux sales. Elle était ce qui reste d'un moment de lessive, ce qui flotte, ce qui bleuit, ce qui parcourt l'épaisseur de l'air, et éclate sans qu'on ait jamais pu la polluer, sans qu'on ait jamais pu la tuer.
...
Le rat blanc, couché sur le ventre, semblait dormir au fond d'un aquarium. Tout était parti à vau-l'au hors de la sphère d'habitation de l'animal, laissant un secteur nu et immobile; maintenant très proche de la béatitude, le rat attendait la minute-limite, où un demi-souffle expirerait sur ses moustaches raides, le propulsant à jamais dans une sorte de vie double, dans la jonction précise des tas de clairs-obscurs de la philosophie.
...
Il irait là-bas, au paradis des rats blancs, un peu à la nage, un peu par les airs, plein d'une joie mystique. Il laisserait par terre son corps nu, pour qu'il se vide de tout son sang , goutte à goutte, et que ce sang indique longtemps l'endroit sacré du plancher qui avait encastré son martyre.

3 commentaires:

Rey Feliz a dit...

Je venais de rentrer du travail, exténué, lessivé, quand j'ai lu ce texte. J'avais à peine déposé ma sacoche que je m’étais jeté sur mon ordinateur pour me "reconnecter" au monde. Je me sentais "libéré" après une journée de dur labeur, et j'ai lu « la mort du rat blanc. »

La légèreté du texte, sa fraîcheur et son rythme m'ont beaucoup plu. Je l'ai vraiment aimé et je t'ai remerciée, Ndack, de l'avoir partagé avec nous, ton « public ». Allégé du poids de mes contraintes professionnelles et amusé par ce que je venais de lire, je me suis mis à faire la vaisselle pour me relaxer et méditer. J'ai aussi pensé à Le Clézio qui avait de la chance d'avoir vécu à une époque durant laquelle le public savait apprécier ce genre de textes. Mais tu sais l'apprécier aussi, toi ma contemporaine, alors c'est dire que nous sommes chanceux aussi. À nous maintenant de profiter de ces livres et d’écrire de nouvelles anthologies!

GANGOUEUS a dit...

J'ai attendu sa consécration pour enfin m'offrir un Le Clézio. Le texte que tu mentionnes me donne à la fois envie de le lire et me laisse perplexe. Y-a-t-il un second lecture à faire. Ne faut-il voir là que la traque d'un rat blanc? En même temps, il y a dans l'idée du rat blanc, le fait qu'il soit domestiqué, qu'il ne soit pas sauvage... Il y a aussi l'image du rat de laboratoire. Donc, tout cela devrait atténuer la phobie, donc la violence d'Adam. Il me faudrait en savoir plus sur Adam...

Lisons d'abord L'Africain et après Le procès verbal passera à la casserole :o) Merci pour ce partage.

Ndack a dit...

Toun,

Tout le plaisir est pour moi ! Je comprend exactement ce que tu as ressenti après avoir lu ces quelques passages au retour du travail. Personnellement, je ne sais pas ce que j'aurai fait sans la littérature, sans la musique, sans l'art en général !

Gangoueus,

Ah Adam... tout un personnage ! Il y a un passage où il est dans un centre commercial et Le Clézio nous y sert une critique très poétique de notre société de consommation. Adam n'était pas bien dans ce centre commercial et moi, je l'ai vite compris car je ne le suis jamais non plus, ce que mon entourage trouve très spécial (quelle jeune femme qualifie le shopping, le lèche-vitrine de corvée ?) !

Mais il faut aimer l'écriture pour l'écriture aussi pour apprécier Le Clézio. Il poétise tout. Il y a l'Africain comme tu le mentionnes et il y a aussi Désert qui a l'air très beau. Il y a un extrait ici: http://fleflefle.blogspot.com/2008/10/dsert-jmg-le-clzio-extrait.html