Le geste et la parole
Par Jacques Attali, publié le 20/03/2009 10:15 - mis à jour le 20/03/2009 10:23
Les gouvernements, confrontés aux mêmes problèmes que les entreprises, n'agissent pas aussi vite. Alors, ils parlent.
Pour survivre, les nations, comme les entreprises, devront bouleverser leurs organisations. Les entreprises le savent mieux que les nations, car elles ont conscience de leur précarité ; elles se posent sans cesse, même si elles ne le nomment pas ainsi, la question de savoir si leur "modèle d'affaire" (le célèbre business model défini d'abord par les universités anglo-saxonnes) est encore valide; c'est-à-dire si elles peuvent continuer à produire et à vendre de façon équilibrée.
Or, aujourd'hui, même si beaucoup continuent d'espérer que tout va vite revenir au monde ancien, elles commencent à réaliser, dans de nombreux secteurs (et d'abord les premiers touchés : les banques, la distribution, l'automobile, le transport aérien), que leur « modèle d'affaire » ne tient plus : les clients ne sont plus là pour acheter ; les banques ne sont plus là pour prêter. Et cela exige des bouleversements durables.
D'abord des bouleversements quantitatifs : pour survivre pendant plusieurs années avec des recettes beaucoup plus basses, elles devront réduire leurs dépenses d'investissements, leurs stocks, leurs gammes de produits ; elles devront allonger les délais de paiement de leurs fournisseurs ; elles devront transformer une part aussi grande que possible de leurs coûts fixes en coûts variables. Autrement dit, généraliser la précarité, aggravant la crise.
Ensuite des bouleversements qualitatifs : les consommateurs vont chercher à consommer de plus en plus malin : l'ostentation n'est plus de mise et nous entrons durablement dans une économie de soldes, dans laquelle chaque entreprise aura le plus grand mal à maintenir la spécificité des marques, face aux produits génériques.
Les gouvernements, confrontés aux mêmes problèmes, n'agissent pas aussi vite. Parce qu'ils n'ont pas les mêmes exigences de survie; parce qu'ils sont parfois plus menacés par les électeurs en agissant qu'en n'agissant pas; parce qu'ils croient avoir le temps; parce qu'ils sont pris dans des mécanismes de décision très complexes et des lobbys contradictoires.
Alors, faute d'agir, ils parlent: ils annoncent d'énormes plans de relance, qu'ils ont un mal fou à financer. Alors que la première priorité est l'accroissement des fonds propres des banques, l'amélioration de la trésorerie des entreprises, l'augmentation de la demande et la réduction des dettes, donc des déficits, rien de sérieux ne se passe, dans aucun pays.
A l'inverse, les banques centrales ne parlent pas, en raison de la rigidité de leurs doctrines et de l'unicité de leurs objectifs, mais elles agissent : elles fournissent des sommes immenses à l'économie, permettant même, au mépris de toute orthodoxie, aux entreprises d'obtenir de l'argent en direct en échange de papier commercial, en utilisant pour cela des noms aussi discrets et obscurs que possible (le dernier qualificatif apparu dans les communiqués des gouverneurs de banque centrale étant quantitative easing, soit "facilitation quantitative", ce qu'on devrait plutôt traduire par "planche à billets").
Mais cela ne pourra suffire : une entreprise ne pourra survivre par le seul jeu de ses réformes internes ni par le seul recours au papier monnaie : elle ne pourra en effet mettre en dépôt à la banque centrale du papier de ses clients si elle n'en a pas. Si le marché, une fois de plus, se révèle plus rapide et plus adaptable que la démocratie, on ira droit vers l'hyperinflation (au-delà de 20 %), forme extrême de la déloyauté, qui fera disparaître les dettes, au détriment des prêteurs. Déjà, bien des entreprises s'y préparent. Bien des démocraties y sombreront.
J@attali.com
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