mercredi 18 mars 2009

Une superbe interview d'Ékoué

Ekoué de « La Rumeur » : l'enfant du pays
10/02/2008

Où en êtes-vous avec votre procès ?

Ça fait bientôt cinq ans que ça dure, c’est un procès en diffamation envers la police nationale, suite à un article que Hamé a écrit dans le cadre de notre magazine « La Rumeur Record ». il y mettait en perspective les bavures et les crimes policiers impunis. Trois passages de l’article ont été attaqués, l’affaire s’est retrouvée en correctionnelle, nous avons gagné. Elle s'est ensuite retrouvée en appel, nous avons encore gagné. C'est la cour de cassation qui a cassé les deux relaxes. La cours a considéré que le devoir de mémoire n’excusait pas tout, tu peux parler et écrire sur les crimes policiers, mais pas jusqu’à la diffamation, tel en à été le point de vue de la cours de cassation, qui renvoie l’affaire au 18 mars prochain. Ce sera le dernier round, au tribunal de Versailles, chez Louis IX quoi, on n’est donc pas sûr de gagner. Voilà où on en est.

C’est Sarkozy qui a porté plainte contre votre groupe, que penses-tu de sa politique ?

Sa politique est à l’image de sa personne, je pense qu’il est certainement le président de la cinquième république le plus profondément inculte, je pense qu’il ne maîtrise pas les fondamentaux de la politique institutionnelle et de la diplomatie.

Tu continues dans la diffamation là ?

Oui, je le dis et je le maintiens, c’est ce que je pense, si maintenant je n’ai plus le droit de donner mon avis ! C’est quelqu’un qui est vraiment dans la réaction constante, tu sens qu’il n’y a pas vraiment de discours construit, il a certes des analyses pertinentes, il réagit au gré de l’agenda médiatique avec plus ou moins de talent, c’est un bon orateur. Mais un bon orateur ne fait pas nécessairement un bon président de la république. Je suis convaincu que c’est un type qui souffre vraiment d’une certaine culture, on se souvient de son discours à Dakar par exemple, « au temps béni des colonies », un discours où il s’adresse à des étudiants, à des personnes diplômées, qui ont des connaissances théoriques, certainement égales si ce n’est plus importantes que les siennes, et en fait, on avait le sentiment de se retrouver 40 ans en arrière.

Libération avait fait une couv. avec comme titre Le Président Bling Bling, ta réaction ?

Ils n’ont pas forcément tort, la Rolex au poignet, le top model un peu retapé mais top model quand même, le yatch, le Fouquet’s, il ne manque plus que la grosse voiture, j’ai l’impression d’être dans un clip de Jay Z.

Justement sans faire de transition, que penses-tu de tout l’engouement qu’il y a autour de son fils aîné producteur de rap ?

Je m’en prends profondément à la politique du père, maintenant si son fils a envie d’écouter du hip hop personne ne doit le lui interdire, ceci dit, personnellement, je ne ferais pas du son avec le fils de Le Pen, maintenant, Sarkozy a baigné dans la culture hip hop, qu’il la respecte et qu’il en fasse avec passion, je ne vais pas lui interdire de faire de la musique.

Et s'il vient te voir ?

Je ne pense pas que l’occasion se présentera mais compte tenu des rapports qu’on a avec son père, j’aurai un peu de mal quand même, beaucoup de mal, pour te parler franchement. J’ai connu des fils de grands patrons, des gens très bien, pourtant leurs pères étaient responsables de la déforestation en Afrique, donc à travers le fils, je ne peux pas faire le procès du père, ce serait trop lâche. Des mecs qui font des sons, y’en a plein les immeubles qui sont au moins aussi talentueux que lui si ce n’est plus, après, je n’ai jamais écouté ce qu’il fait. Mais la démarche opportuniste qui consisterait a faire du son avec le fils de Sarko parce que c’est le fils du président, je trouve que ça pue. Le hip hop à ce niveau efface les barrières raciales, sociales c’est en ça que ce mouvement est intéressent et c’est pour ça que je n’ai aucun jugement de valeur à avoir, je ne suis pas du tout dans cette logique.

Un fils d’immigré, rappeur de surcroît qui rentre à Science Pô, ce n’est pas courant ?

Aujourd’hui, bizarrement, y’a pas mal de personnes issues de la diversité comme ils aiment le dire qui sont rentrées dans les grandes écoles, encore une fois le discours n’est pas relayé. Faut pas se mentir, Sciences Pô, l'ENA, Math Sup, 99%, des étudiants sortent du 16ème, ont des papas instituteurs, avocats, et ont finalement peu de mérite. Ils ont grandi avec un tel champs de références, que lorsqu’ils passent des concours, ils ont autant de facilité que moi d’écrire un 16 et de le rapper dans une mixtape, elle est là la véritable discrimination. Il y a une énergie dans les cités qu’il faut investir, ça partait d’une bonne démarche d’intégrer des étudiants des ZEP, ça représente peu mais bon, je salue la démarche. En ce qui me concerne, je suis rentré en cinquième année par la voie la plus difficile. Pour y être admis, tu passes par une évaluation écrite, ensuite par un entretien soumis a un premier jury, puis un deuxième jury de l’école doctorale et seulement après tu rentres, nous sommes onze par classe.

Qu’est-ce qui t'a décidé de rentrer à Science Pô ?

Sincèrement, mon challenge est d’aller dans les endroits où nous ne sommes pas représentés. J’aime être dans des créneaux désertés, comme faire du rap un peu politisé, mais parce qu’il y a aussi une revanche sociale, une revanche tout court, tout ça est motivé par la haine.

On l’entend bien dans vos lyrics, vises-tu une carrière politique ?

Ça vaut pour une école comme l'ENA, ce sont les affaires publiques, l’administration, les hauts fonctionnaires, plusieurs grands patrons ont fait Sciences Pô, des artistes également comme Léo Ferrer. Évidemment que Science Pô est un moulin à élites, c’est ce qui forme les politiques de ce pays. Mais moi, faire de la politique institutionnelle, adhérer à un partie, porter une cravate, sortir des discours convenus, jamais de la vie.

Tu veux donc faire partie de l’élite de ce pays ?

Non, justement c’est tout le contraire, je considère que dans ce type d’écoles, on te donne des armes, on te soumet des références que tu n’as pas dans les éléments de masse. Tu y apprends des choses qui te sont démontrées par des catégories de sociologues, de politologues, des lectures finalement assez fermées. Moi, je veux des armes parce qu’il faut savoir qu’on nous fait la guerre dans ce pays, faut pas avoir une vision angélique de la France, je ne suis pas Abdel Malik. Je ne vais pas te sortir que « oui j’adore le drapeau français, que j’aime ses valeurs, que j’aime ses littératures », très bien.

Une part est très inquiétante, notamment dans son rapport aux minorités, dans cette espèce de mécanisme vraiment imprégnée dans le système, de ce racisme structurel. Quand tu es noir, issu de milieu moyen ou modeste, tu as 90% de chance de foncer dans le mur. Pourquoi des jeunes ne deviendraient-ils pas journalistes ou écrivains ? Pourquoi n'auraient-ils accès qu'à des jobs d’intérim, aux universités ou aux lycées poubelles ? C’est parce que tout ça est structurel, ce n’est pas le fruit du hasard, c’est parce que tu as une organisation, qui est du ressort et des volontés politiques, rien est fait par hasard, le hasard c’est quand tu t’en tiens à des explications passives.

Quels sont tes objectifs alors en dehors du fait de te constituer des armes ?

Je vais te répondre franchement, j’ai en tête quelque chose, mais ce n’est pas encore définif, je ne préfère pas en parler mais j’ai envie de démontrer. Tu sais tu as des profils d’intellectuels issus de la culture hip hop, c’est valorisé aux Etats Unis mais pas en France, parce qu’en France le rap a été colonisé au même titre qu’ils ont colonisé les Antilles, les Caraïbes ou l’Afrique avec des acteurs comme la radio Skyrock. On est partis d’une culture de revendications métissées à aujourd’hui du Diam’s, et j’en passe qui n’ont que comme point commun d’être français de souche et blanc de surcroît, donc ça m’inquiète. Moi, je revendique un héritage métisse, je ne suis pas du tout séparatiste, je ne suis pas communautariste loin de moi cette idée, mais aujourd’hui j’ai l’impression qu’on tombe dans un communautariste mais dans un autre sens.
Ma volonté première est de m’en sortir économiquement, et heureusement qu’il ne se repose pas sur les play listes de Skyrock, non au contraire, je sais là où il y a de l’argent et ce qu’il faut faire pour en avoir. On veut cantonner le ghetto: tu auras un disque d’or, tu passeras sur Skyrock, tu auras une voiture, une maison, tu auras une vie sociale assurée, alors que c’est faux, tous les exemples un par un démontrent que de toute façon, ce sont des pétards mouillés qui durent dix ans maximum et qui après retournent dans leur cité, et ça c’est inquiétant.

Tu dis que vous ne faites pas du rap français, mais du rap d’immigrés, qu’est ce que tu entends par là, vous êtes tout de même français.

Je ne suis pas dans cet état d’esprit qui consiste à me dire qu’on ne veut pas de moi, mais je suis français à tout prix, non. Moi j’essaie de me construire un statut avec ce que j’ai. Le statut qui correspond le mieux à ma personnalité, à mes jugements, à ce que je suis, c’est celui de fils d’immigrés né en France. Il y a une histoire derrière l’immigration, les gens s’imaginent que l’immigration c’est des gens qui se sont téléportés d’Afrique en France, non, il y a de la douleur, de l’exil, des humiliations, le fait d’habiter dans des endroits de relégation sociale, de ne fournir une immigration malgré une société française profondément raciste, donc moi c’est ça mon héritage, mon histoire de France elle commence là.

J’en ai rien à foutre de Louis XIV, de la Renaissance ou du Cercle des Lumières, ça m’intéresse comme je peux lire un roman, et oui c’est aussi un pied de nez à montrer le rap français, qu’est ce que ça veut dire ? C’est le rap bleu blanc rouge, c’est Sinik, Fatal Bazouka, c’est ça le rap français, non, je ne suis pas d’accord, je préfère faire du rap de fils d’immigrés.

Alors La Rumeur est un groupe de rappeurs philosophes, ou un groupe de futurs hommes politiques ?

C’est un groupe de mecs qui a grandi dans la culture hip hop et qui en est venu aux études. Si je n’avais pas connu le rap, je serais en train de cavaler avec des kilos de shit, et l’histoire serait réglée, donc le rap tel que je l’ai pratiqué m’a réconcilié avec le savoir. Ensuite la question est, qu’est ce tu crées comme alternative pour être viable, pour continuer à faire de la musique ? Et bien c’est de faire des tournées, de faire des ateliers d’écriture, c’est d’aller à la recherche de son public, et puis surtout se former, parce qu’on a été contraint et forcé. Quand tu te fais attaquer par le Président de la République, ancien Ministre, que tu leur dis que tu es un rappeur et fier de l’être mais qu’en plus tu es passé par les mêmes écoles, la donne change.
J’ai donc un double regard, j’ai mon vécu et j’ai aussi des connaissances qui me permettent d’être légitime dans le débat et ne pas être disqualifié de faits ou considéré comme le banlieusard type à qui on va parler de Zidane et qui va en plus être content.

En tant que togolais, que penses-tu de la politique de ton pays ?

Je pourrais en parler des heures du Togo. C’est simple, la politique togolaise, c’est le résultat de 30 ans de politique française après l’indépendance. J’ai rôdé une rhétorique, quand on se demande pourquoi les immigrés viennent en France, l’immigration de masse c’est un produit du pillage éhonté de nos pays, mais ce n’est évidemment pas dit dans les médias. Comment t’expliques qu’aujourd’hui la proportion d’immigrés d’Afrique du nord et d’Afrique sud saharienne, est plus nombreuse que celle des italiens, ou des portugais ? Parce que nos pays ne sont pas souverains, la souveraineté de nos états a été bradée, ils ont mis à la tête de nos pays, des flics. L’administration française ne s’arrête pas de Lille à Perpignan, elle continue de Lomé à Cotonou à Abidjan... Eyadema, Bongo, Wade, sont des préfets pour moi, tout est géré comme des préfectures. Compare le discours de Sarkozy au Congrès Américain à celui qu’il a tenu à Dakar, tu conclueras que nos pays ne sont souverains ni politiquement, ni économiquement, ce sont des dictatures financées et armées par le pouvoir français, parce que les intérêts économiques sont à la mesure de leurs enjeux de croissance et autre, c’est pour cela que l’appellation fils d’immigré veut dire quelque chose. Pour prendre en exemple Eyadema, c'était un agent zélé de l’administration française pendant la guerre d’Algérie, qui a combattu aux côtés des français et qui s’est retrouvé président par un coup d’état appuyé par l’Elysée et par le Quai d’Orsay dans un pays qu’il a ruiné économiquement, où il a liquidé les opposants. Le Togo aujourd’hui est plongé dans la misère la plus noire alors que paradoxalement il a une diaspora extrêmement brillante avec un certain nombre d’intellectuels. Que ferait la France sans ses colonies ? C’est la question qu’il faut se poser, moi la colonisation, je n’en parle pas au passé, on est encore dans un contexte de colonisation, on n’en est pas sorti.

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