lundi 28 septembre 2009

Démystifier les mythes

La chronique de Amadou Guèye Ngom de ce matin... et ça touche là où ça fait mal !

Démystifier les mythes

Amadou Gueye NGOM
Lundi 28 Sept 2009


Lorsqu’un homme de plume cède à l’invitation d’écrire sur un sujet qui préoccupe sa communauté, il court presque toujours le risque de la connivence qui aliène sa liberté de penser. C‘est ce que j’ai ressenti en lisant le commentaire me priant de parler du problème de l’énergie, des inondations, de la mal gouvernance du Sénégal, ce grand malade au chevet duquel se bousculent charlatans et charognards.

Que dire de nouveau sur les coupures d’électricité, les dégâts de la pluie et leur prise en compte ? Jusqu’ici trois attitudes ont été en compétition: l’appel aux armes, le rappel à Dieu et l’amateurisme. Attitudes exploitées avec plus ou moins de bonheur par l’opposition, les leaders religieux et les pouvoirs publics. Pour chacune de ces entités, tout désastre constitue un fonds de commerce virtuel ou offre l’occasion d’un règlement de comptes.

- « On vous avait prévenu, c’est un gouvernement d’incapables », rugit l’Opposition

- « Nous gérons vos cinquante ans d’échec », retorquent les tenants du nouveau régime

- « Lavons les cœurs », pontifient Doomi Soxna” et Enfants de Marie, sans nous dire avec quel détergent.

De l’autre côté, les gardiens des bois sacrés, réclament des sacrifices… Mais il semble que poulets et cabris ne fassent plus l’affaire. Du moins, si l’on en juge par les rumeurs de sadisme qui caractérisent les meurtres enregistrés quotidiennement.

Finalement, le peuple que tout ce beau monde veut guérir ou dévorer devient mécréant, au sens intuitif du terme, juste par instinct de survie.

De quoi souffre la société sénégalaise ? De deux graves malentendus:

1) l’imposture qui consiste à présenter l’Etat comme un bienfaiteur

2) l’inadéquation entre discours politique et entendement populaire.

Lorsqu’un intellectuel en langue française et aux idées importées dénonce, auprès du peuple, le train de vie de l’Etat, la gestion patrimoniale du pouvoir et ses allures monarchiques, il perd de vue que cela correspond exactement à la perception traditionnelle du pouvoir par les populations : « Buur déy yéwéen », « Nguur deñ koy donn ». Ces deux mots wolofs clés que sont yewen (généreux) et donn (hériter) associés à Buur (roi) dérivé de nguur (royaume) sont les termes en usage pour traduire l’Etat et son chef. Si cet intellectuel, « étranger » chez lui, connaissait mieux ses réalités, il se serait d’abord soucié d’expliquer aux populations ce qu’est une république et ce qui la différencie d’une monarchie.


A l’exception d’un ou deux partis, l’Opposition qui fonctionne également avec les mêmes idées importées n’a pas non plus conscience du décalage entre son discours et l’entendement populaire. Elle exploite les mouvements d’humeurs des populations plutôt que de leur dire, par exemple que la rue publique n’est pas « mbeddu buur », que les deniers publics ne sont pas « alalu buur », que tout appartient au peuple, que l’Etat n’est propriétaire de rien et que les actions inhérentes à ses charges ne sont pas des faveurs dont il devrait attendre un tribut de gratitude sous forme de d’allégeance ou de suffrages.


La presse qui eût pu jouer les vigiles regorge davantage de valets de chambre que de professionnels motivés par l’information critique et l’éveil des consciences. Elle contribue, à dessein ou par maladresse, à la personnalisation du Pouvoir dont les moindres faits et gestes sont relatés avec une emphase publicitaire qui frise l’indécence : « Wade prête son avion à l’Equipe nationale » en lieu et place de « l’Etat met l’avion de commandement à la disposition de… » Idem, lorsque sa femme ou son fils offre des billets de voyage à la Mecque. Autant de formulations linguistiques qu’il convient de réajuster.


Aussi longtemps que nos politiciens de rhétorique et de slogans, les clubs d’intellectuels déphasés ne feront pas comprendre aux populations qu’elles ne doivent rien à l’Etat mais que c’est plutôt ce dernier leur serviteur et obligé, jamais ne s’estomperont les malentendus.


Le diagnostic de nos maux commande également d’avoir le courage de démystifier les mythes, de mettre un terme aux populismes manipulateurs… Cesser de croire à l’inaltérabilité de nos valeurs traditionnelles. Notre peuple n’est ni meilleur ni pire que d’autres. Nous avons des saints mais aussi des salauds, comme dans n’importe quel pays. Nous avons même des anarchistes pour qui « toute révolution commence par l’irrespect: “koo tudd, ñu daggal ko”.


Il est tout aussi malhonnête de faire croire que, par atavisme, les Sénégalais sont pétris de « jom », de « kersa », de tolérance. Ce stéréotypage, plus « carcéral » que galvanisant, empêche les remises en question salutaires et ne sert qu’à manipuler ou endormir une société.

Conformément à notre statut d’anciens Ceddos convertis, on se gargarise bruyamment des héros de l’Epique et des grandes figures religieuses, plutôt que de nous inoculer leurs vertus. Ce qui subsiste de l’héritage ne sont souvent que des velléités monnayables au naïf le plus offrant. Aujourd’hui, on adhère à un parti dont le leader sait se montrer généreux, on s’oppose plus par dépit que par conviction idéologique.


Yamar qui n’obtient pas gain de cause décoche une chanson ; Kakatar qui espère se rincer la dalle avec quelques gouttes du millésime américain se rend compte subitement que Gorgui est « le meilleur président au monde » et qu’il mérite d’être « Président à vie ». Malentendus, mystification, opportunisme ? La navigation entre ces destinations que sont la politique, la religion et les affaires fonctionne à merveille.

Amadou Gueye Ngom

Critique social


PS : la hache qui sectionne définitivement les branches pourries de l’arbre ne sera jamais comparable aux pluies illusoires qui les verdissent temporairement de mensonges.

vendredi 25 septembre 2009

Dans les murs d'un département d'économie...

C'est arrivé aujourd'hui: X est une étudiante de doctorat en économie et elle trouve sur son bureau un exemplaire du journal La Presse avec l'article de Pierre Foglia "Le mur dans la tête" bien mis en évidence par sa colocataire de bureau, nommons-là Y. Y écrit un gros "Intéressant !" sur l'article et encercle deux extraits de ce dernier:

Premier extrait:

« Christian est né à l'Est (de Berlin). Je vous l'ai présenté hier. Jeune homme ouvert sur le monde, il partait le lendemain pour Minneapolis, où il termine des études en économie. Christian avait 7 ans quand le mur est tombé. Quand je lui ai demandé s'il se sentait plus de l'Est que de l'Ouest, je m'attendais à ce qu'il proteste - ce qu'il a fait, sauf qu'il a ajouté: «Reste que je n'ai presque pas d'amis de l'Ouest.»

Christian aurait-il plus d'amis à NDG s'il était de Rosemont? Question tordue. Avant 1945, Berlin, contrairement à Montréal, n'était divisé ni par la langue ni par la culture. Avant 1945, Berlin était peuplé de Berlinois tous à peu près pareils. On y a tracé une frontière au lendemain de la guerre. Puis on a dressé ce mur de béton, qui est resté debout 28 ans. Et quand on a jeté ce mur à terre, surprise! Les Berlinois des deux côtés de l'ex-mur n'étaient plus pareils.

Du point de vue anthropologique, c'est quand même un peu troublant, non? On n'était pas, comme en Palestine ou même comme à Belfast, devant un mur qui sépare de toute façon deux communautés qui n'ont rien à voir et ne veulent pas se voir. Le mur de Berlin séparait absolument arbitrairement et artificiellement des citoyens semblables, conformes; séparait le cousin de la cousine, le voisin de la voisine. »

Le commentaire de Y: « Belle expérience naturelle... »

Y fait en effet référence à la méthode du "randomized experiment" très prisée actuellement par les économistes du développement. Cette méthode aide à évaluer l'impact d'une politique en comparant la situation d'un échantillon d'individus sans la politique avec la situation d'un autre échantillon d'individus similaires mais avec l'implantation de la politique.

Un exemple donné ici par le New York Times:

« The basic idea behind the lab is to rely on randomized trials — similar to the ones used in medical research — to study antipoverty programs. This helps avoid the classic problem with the evaluation of aid programs: it’s often impossible to separate cause and effect. If aid workers start supplying textbooks to schools in one town and the students there start doing better, it could be because of the textbooks. Or it could be that the town also happened to hire a new school administrator.

In a randomized trial, researchers would choose a set of schools and then separate into them two groups. The groups would be similar in every respect except for the fact that one would receive new textbooks and one wouldn’t. With a test like this, as Vinod Thomas, the head of independent evaluation at the World Bank, says, “You can be much more accurate and much more clear about the effect of a program.”

The approach can sound cruel, because researchers knowingly deny help to some of the people they’re studying. But what, really, is the alternative? It’s not as if someone has offered to buy new textbooks for every child in the world. With a randomized study, you at least learn whether your aid money is well spent. »

Deuxième extrait encerclé par Y:

« On voit par là que les murs, comme la petite vérole, laissent de vilaines cicatrices. Sans parler d'effets pervers auxquels on n'avait pas pensé. Pendant 28 ans, le mur a caché aux Allemands de l'Est la démocratie, la liberté, le bonheur. Qu'est-ce que vous pensez qu'ils ont fait, les Allemands de l'Est? Ils ont rêvé la démocratie. Ils ont rêvé la liberté. Ils ont rêvé le bonheur.

Le mur est tombé et bon, on le sait, le rêve n'est jamais focus avec la réalité. Au point où quelques-uns, cyniques sûrement, disent qu'il faudrait peut-être refaire le mur pour qu'ils se remettent à rêver. »

Commentaire de Y: « Soit U(Consommation, Rêve, Désillusion) ou Uc > 0, Ur > 0 et Ud <> ou < 0 ? quelque soit i différent de j ? »

Il s'agit là des propriétés de la fonction d'utilité U d'un résident de berlin Est telles que décrites par Mr. Foglia. Deux paragraphes résumés en deux lignes ! Et moi je dis que dans pas longtemps la ville de Berlin risque d'attirer des économistes prêts à en faire leur laboratoire de recherche... Vous ne vous imaginez pas le nombre d'études remplies de mathématiques faites sur vous à votre insu ! Mais ne vous en faîtes pas, c'est pour l'avancée de la science :o)

jeudi 24 septembre 2009

Un navire sans capitaine à bord...

Quelques mots de Jacques Attali, l'un de ceux qui ont vu venir la crise, mais aussi l'un des économistes les plus pessimistes qu'en au futur de la planète. Mais a-t-il vraiment tort... ?

***

Le G vain

Par Jacques Attali, publié le 21/09/2009 19:27 - mis à jour le 22/09/2009 19:33

Le G 20 de Pittsburgh ressemblera à s'y méprendre à celui de Londres. A la veille de Pittsburgh, comme pour Londres, on dira que la situation s'améliore : de fait, la Bourse va mieux, la production industrielle augmente, l'optimisme est partout, le goût du risque revient : ainsi, lors des six derniers mois, le coût de la protection contre la faillite éventuelle de Bank of America, de Goldman Sachs et de 14 grandes entreprises industrielles a baissé des deux tiers.

Comme avant Londres, tout le monde aura intérêt à le croire, car chacun a des échéances électorales. Cette fois, le président Obama patauge devant le Congrès, qui lui refuse toute réforme, sur le contrôle des banques comme sur la santé ; et Angela Merkel est soumise à reconduction deux jours après Pittsburgh...

Comme avant Londres, la situation est en réalité extrêmement critique. La production demeure très inférieure à ce qu'elle était avant la crise. Le chômage augmente et augmentera, en particulier en Allemagne, en France et en Italie, pays où, selon l'OCDE, le redressement de l'emploi sera "beaucoup plus long que celui de la production" et aboutira à une "crise sociale à part entière". Les fonds propres des banques restent plus que jamais insuffisants. Les produits dérivés sont toujours là, sans aucun contrôle, constituant l'essentiel des activités rentables de bien des banques. La dette publique continue d'augmenter partout, à tel point qu'il est maintenant, et pour très longtemps, impossible aux banques centrales d'augmenter leurs taux d'intérêt, ce qui les prive du pouvoir de lutter contre l'inflation, si elle se déclenche un jour, comme c'est vraisemblable.

Comme à Londres, 27 chefs d'Etat (et non 20) et presque autant de patrons d'institutions internationales se réuniront pendant deux jours et s'exprimeront chacun pendant moins d'une demi-heure. Comme à Londres, ces dirigeants débattront longuement d'un sujet présenté comme essentiel, qui fait aisément scandale et sur lequel ils peuvent faire croire qu'ils ont quelques moyens, mais qui n'a, en fait, qu'un rapport très lointain avec la récession : à Londres, ce furent les paradis fiscaux, facilement dénoncés ; à Pittsburgh, ce seront les bonus des traders, cloués au pilori. Comme à Londres, on prendra quelques décisions bien visibles à leur propos. Et comme à Londres, ces mesures n'auront aucun impact sur la crise et seront contournées : les traders, comme les fraudeurs du fisc, débordent d'imagination...

Comme à Londres, on prendra des décisions, qu'on n'appliquera pas, sur les fonds propres des banques et sur la régulation systémique. Et comme à Londres, on n'en prendra pas sur les menaces de demain : la fragilité des banques, le retour des activités spéculatives, l'absence de contrôle des acteurs financiers non bancaires, tels les fonds d'investissement et les compagnies d'assurances.

Comme à Londres, on prendra mille et une photos, on se congratulera, on se quittera. Puis les dettes publiques continueront d'augmenter, les institutions financières seront de plus en plus instables, le chômage augmentera. Et un jour, sans doute, devant le désastre, il faudra agir. On se retournera alors vers les gouvernements : exsangues, ils ne répondront plus. Il n'y aura plus, alors, de G 20.

mardi 22 septembre 2009

« À cœur ouvert » avec Papa Diop


Voici une entrevue avec M. Papa Diop que j'ai trouvée sur le site du Regroupement Général des Sénégalais du Canada (RGSC). Je la partage avec vous (Tous droits réservés par le RGSC).





Mars 2005

Entrevue avec : M. Papa Diop

Un des premiers sénégalais à avoir obtenu le statut « d’immigrant reçu » venu directement sans escale du Sénégal au Québec, il a connu les hauts et les bas de cet exploit, il a dû se forger une place et ouvrir le chemin à ceux qui l’ont suivi depuis ce jour. Malgré l’exploit du nombre d’années vécues au Canada, Papa Diop est un amoureux du Sénégal et de la population sénégalaise. Que ne fera-t-il pas pour promouvoir sa culture d’origine, pour aider les siens? Toujours souriant, il fonce dans la vie, il va de l’avant sans relâche. Nous sommes fiers de vous le présenter aujourd’hui.

Merci infiniment Papa Diop de bien vouloir répondre à nos nombreuses questions afin de nous permettre de mieux vous connaître et partager votre expérience avec vos frères et sœurs sénégalais et sénégalophiles. Nous savons qu’il n’est pas toujours facile de se livrer à cœur ouvert devant un public si nombreux, mais quelle joie de pouvoir partager son expérience personnelle de vie et de permettre à la communauté sénégalaise de se connaître mieux!

RGSC : Racontez-nous un peu votre vie au Sénégal.

Je suis né il y a 54 ans à Pire dans la région de Thiès au Sénégal.

J’ai fait mes études primaires à Cambérène, un village traditionnel layène (confrérie religieuse) près de Dakar. Ce passage à Cambérène a été très formateur et m’a profondément marqué. Les principales activités de la population « léboue » était la pêche et l’agriculture, tout le monde se connaissait et il y avait beaucoup de solidarité et un esprit communautaire.

Après l’école primaire, je suis allé au Lycée Blaise Diagne à Dakar et par la suite j’ai suivi un cours de fabrication mécanique au Centre de Formation Professionnelle de Thiès.
Juin 1970, c’est le décès de mon père qui coïncide avec la fin de mon cours. À 20 ans, étant l’aîné, je deviens chef de famille, je commence à travailler aux Chemins de Fer jusqu’à mon départ pour le Canada en décembre 1975.

RGSC : Avez-vous voyagé avant d'arriver au Canada?

Le Canada constitue mon premier voyage à l’extérieur du pays.

RGSC : Quel fut votre cheminement pour arriver au Canada et pourquoi l'avoir choisi?

C’est un pur hasard. En 1973, avec des amis, nous avions trouvé dans une vieille revue qui venait de la France que le Canada, l’Australie et les Etats-Unis étaient à la recherche de travailleurs qualifiés. J’ai photocopié le formulaire et fait ma demande, sans trop y accorder d’importance. Quelles furent ma joie et ma surprise quand j’ai reçu une réponse et c’est à ce moment que les démarches ont commencé et au bout de trois mois, je recevais mon visa d’immigrant. Je prends 3 mois de vacances que j’avais accumulés et je me suis dit je n’ai rien à perdre, je vais aller voir et si je me rends compte que ça ne fonctionne pas pour moi, je vais revenir reprendre mon boulot aux Chemins de Fer. Et cela fait presque trente ans que je vis au Canada.

Pourquoi le Canada? À cause de la langue française et du fait que le Canada a une bonne réputation dans le monde et principalement en Afrique. J’avais aussi entendu parler du Canada dans mes cours de géographie et lors des visites effectuées par le Président du Sénégal de l’époque Léopold Sedar Senghor.

RGSC : Quand êtes-vous arrivé au Canada et comment s'est passée cette arrivée?

Je débarque à Dorval le 15 décembre 1975, euphorique, le soleil était brillant et le sol couvert de belle neige blanche que je voyais pour la première fois, avec des habits d’été. Il faisait 30C quand je quittais Dakar, j’arrive à Montréal, on nous annonce qu’il fait -15C, premier choc, le deuxième c’est quand j’ai vu le soleil se coucher vers 16 h 30. Le lendemain de mon arrivée, je vais à l’assaut des magasins pour m’équiper en manteaux, bottes, mitaines, etc.…

Je commence à prendre le métro pour visiter les Centres d’emploi, mais il n’y avait presque pas d’offre d’emploi, les agents me disaient c’est à cause des fêtes de Noël, mais qu’après les fêtes ça reprendra. Après quelques jours de solitude, de dépaysement et de découragement, je me dis que j’ai mon billet retour et mon emploi qui m’attend et de toute façon il fait trop froid ici et je n’ai pas envie de chômer surtout avec la famille qui compte sur moi. J’appelle l’agence de voyages pour réserver, on me rappelle dans la journée pour me dire que Montréal New York, il y a de la place, mais New York Dakar, il fallait que j’attende une semaine ou une annulation.

Entre temps, j’appelle mes parents pour leur annoncer mon retour, c’est la panique, tout le monde m’appelle pour m’encourager et me réconforter, l’ambiance des fêtes aidant je recommence à remonter la pente.

Le 6 janvier 1976, je décroche mon premier emploi dans une grande entreprise avec de bonnes conditions de travail, mais aux ressources humaines on me dit c’est un emploi temporaire de 3 mois seulement, je me suis dit : « j’y suis, j’y reste », finalement je travaille encore pour cette entreprise.

RGSC : Le Québec : quelles sont vos impressions?

Personnellement, je peux dire que ça a été une belle aventure malgré les difficultés rencontrées au début je peux dire que c’est très positif et je ne regrette rien, je m’en suis très bien sorti jusqu'à présent; je sais que ce n’est pas le cas pour tout le monde. J’ai été très chanceux, mais mon cas n’est pas unique il y’a plusieurs autres qui se sont fait une place au soleil, donc il y’a de l’espoir, mais il faut être sérieux dynamique et persévérant.

RGSC : Pourriez-vous nous présenter votre famille?

J’ai une grande famille, celle restée au Sénégal, comprenant ma mère et mes frères et sœurs, à laquelle je suis très proche et ici au Canada il y a mon épouse (à qui je rends hommage parce qu’elle m’a toujours supporté et appuyé dans mes nombreux projets) et mes 3 enfants, une fille et deux garçons qui sont des adultes maintenant.

RGSC : Quel est votre domaine professionnel?

Mon domaine professionnel est la fabrication mécanique, je travaille au service technique. J’ai été impliqué dans l’entreprise ou je travaille comme négociateur syndical. Je travaille aussi comme bénévole dans le milieu communautaire. Parallèlement à ces activités, durant les années 90, j’ai ouvert à Montréal deux restaurants (« Téranga » et « Découvrir le Sénégal ») pour faire connaître le Sénégal et sa gastronomie.

RGSC : Vous êtes le président de Omega Ressources Humaines. Parlez-nous de cette organisation?

ORH est un organisme à but non lucratif, laïc et indépendant dont les objectifs sont, entre autres, la sensibilisation à la diversité culturelle et ethnique, l’intégration économique et sociale des communautés culturelles, le dialogue des cultures et des civilisations et la mobilisation de la Diaspora pour le développement de l’Afrique.

Nous voulons créer un réseau pour aider à rapprocher les gens. Avec le bas taux de natalité au Québec. Montréal sera de plus en plus multiculturel, nous travaillons pour l’ouverture des esprits des uns et des autres, le respect des différences et une cohabitation plus harmonieuse entre les cultures et les religions.

Nous voulons aussi aider les membres de la communauté à trouver de bons emplois bien rémunérés et intégrer la fonction publique fédérale, provinciale et municipale. Nous avons besoin de bénévoles pour atteindre nos objectifs.

Voici notre site Internet : www.omegarh.org

RGSC : Quels sont vos intérêts et passions? Qu'aimez-vous particulièrement?

Je suis un passionné de football (soccer), sport que j’ai beaucoup pratiqué quand j’étais jeune, maintenant le corps ne suit plus. J’aime l’histoire et la lecture de biographies. Internet qui est un outil formidable. La bonne cuisine et les voyages.

RGSC : De quelle façon avez-vous entendu parler du RGSC et comment vous y êtes-vous intéressé?

Avant le RGSC, il y avait l’Association des Sénégalais du Canada dont je suis un des fondateurs avec d’autres sénégalais. Dans les années 80, j’ai été le président et nous avons eu à organiser des semaines culturelles et économiques, nous avons fait venir des artistes et des ministres pour faire la promotion de la culture et des possibilités d’investissement au Sénégal.
En 1993, l’Association, après plus de 13 ans, était en veilleuse. Vu l’importance pour une communauté d’un tel organisme, un groupe de jeunes et quelques doyens dont moi avons prit l’initiative de relancer les activités. De là est né le RGSC. Je félicite les jeunes qui ont pris la relève et qui font un travail extraordinaire.

RGSC : Enrichi de votre expérience personnelle, quels conseils donneriez-vous aux nouveaux arrivants?

Je leur dis que c’est possible d’avoir sa place au soleil, il faut croire en vous, être persévérant, ne pas vous décourager trop vite, tous les débuts sont difficiles, l’essentiel est d’être sérieux et de prendre votre place, si on a un rêve ou une passion d’aller jusqu’au bout, mais surtout d’être professionnel dans ce que l’on fait.

RGSC : Quel message aimeriez-vous communiquer à l’ensemble des sénégalaises et sénégalais qui sont au Canada?

Je demande à l’ensemble de la communauté de s’impliquer dans le regroupement, étant donné que nous sommes de plus en plus nombreux et que l’union fait la force, nous allons pouvoir, selon nos moyens, faire sentir notre présence et contribuer à bâtir ce pays où nous avons choisi de vivre.

RGSC : Vous considérez-vous sénégalais ou canadien?

Je pense que je suis l’un et l’autre, je me sens privilégié d’appartenir à deux pays qui partagent plusieurs belles valeurs : la démocratie, le respect des droits de la personne, la tolérance, l’ouverture, le pacifisme, etc.…
Quand je suis au Sénégal, on m’appelle le canadien, quand je suis au Canada, on m’appelle le sénégalais. Je dis souvent en boutade : « Je fais partie des sénégalais les plus canadiens et des canadiens les plus sénégalais». Le Sénégal est le pays de mes parents et de mes ancêtres et le Canada, le pays de mes enfants.

RGSC : Parlez-nous de votre vision du Sénégal d'aujourd'hui et de demain

Je ne suis pas un spécialiste, mais selon mon expérience, je vais donner une vision personnelle :
Le Sénégal est un pays qui n’a pas de ressources naturelles, mais qui a beaucoup d’atouts importants : Une situation géographique exceptionnelle, un beau climat, la stabilité politique, une belle entente entre les différentes ethnies et confessions religieuses, la qualité des ressources humaines.

Le Sénégal peut devenir un pays émergent, sauf qu’il y a quelques préalables :
- Un changement radical de mentalités, c'est-à-dire plus de civisme, de discipline et de rigueur.
- Une diminution des dépenses de prestige dans les cérémonies familiales et sociales.
- Mettre l’accent sur la formation professionnelle et technique des jeunes.
- Créer les conditions pour que les immigrés aient confiance et investissent dans la création de PME PMI génératrices d’emplois, et donner un pouvoir d’achat à la population, ce qui conduira à augmenter le niveau de vie de la population et créer une demande de biens et de services, faire rouler l’économie et permettre à l’Etat aussi de prélever des taxes et des impôts pour les services publics.
- On prétend qu’il y a plus de 2 millions de sénégalais à l’étranger. Si chaque immigré crée deux emplois, ce sera plus de 4 millions d’emplois, on atteindrait le plein emploi au Sénégal. Mais il faudrait que l’on implique plus les immigrés dans la marche du pays et qu’on leur permette de mettre en pratique l’expérience acquise à l’extérieur.
- Une agriculture diversifiée axée sur l’autosuffisance alimentaire.

RGSC : Quels sont vos rêves, vos ambitions et vos projets?

Si tout se passe comme prévu, je dois prendre ma retraite de mon emploi actuel. Je ne vais pas pour autant arrêter, au contraire je vais m’impliquer davantage pour l’amélioration des relations économiques, sociales et culturelles entre le Canada et le Sénégal.

Je vais tenter de reprendre la célèbre phrase du Président Kennedy : «Il ne faut pas se demander ce que votre pays peut faire pour vous, mais il faut plutôt se demander ce que vous pouvez faire pour votre pays»

Au Sénégal, je vais m’impliquer pour essayer de faire profiter mon expérience au pays.
À Montréal, nous allons travailler fort pour que Omega atteigne ses objectifs et réalise ses projets et essayer d’attirer des investisseurs canadiens au Sénégal. Je reviens d’un voyage de deux mois au Sénégal, je me suis rendu compte qu’il y a plusieurs secteurs très rentables pour des investisseurs potentiels.

RGSC : Nous aimerions que vous puissez formuler vous-même le mot de la fin de cette entrevue…

Je tiens à féliciter le Bureau exécutif du RGSC qui fait un excellent boulot, ils doivent être encouragés et appuyés parce que c’est un travail exigeant et très ingrat. Le RGSC est un outil indispensable pour la communauté, il ne faut pas que l’on tombe dans le piège de l’individualisme, la solidarité est une de nos valeurs que l’on se doit de préserver.

RGSC :

Encore un grand merci Papa Diop d’avoir bien voulu participer à cette entrevue et d’avoir accepté de vous livrer ouvertement au profil de nos lecteurs sénégalais et sénégalophiles. Merci de nous avoir permis de vous connaître mieux.

Propos recueillis par Julie "Bintou" Bienvenue webmaster@rgsc.ca

« À cœur ouvert » avec M. Bara Muhammad Mbengue


Voici une entrevue avec M. Bara Muhammad Mbengue que j'ai trouvée sur le site du Regroupement Général des Sénégalais du Canada (RGSC). Je la partage avec vous (Tous droits réservés par le RGSC).







1er août 2005

Entrevue avec : M. Bara Muhammad Mbengue

Fervent militant de la justice sociale, de la lutte contre la discrimination raciale, particulièrement en matière d’emploi au Québec et partout ailleurs, Bara Mbengue fait tout en son pouvoir pour bâtir un monde meilleur dans lequel les québécois de souche et les néo-québécois pourront travailler ensemble, main dans la main dans un environnement équitable et juste. Membre du Conseil central du Montréal métropolitain de la CSN, Bara Mbengue est un syndicaliste qui n’hésite pas à aller au front pour faire avancer les causes sociales auxquelles il tient.

Il est un amoureux de ses origines sénégalaises et de la communauté sénégalaise. Il cherche à améliorer le sort de ses compatriotes dans un esprit permanent d’humanisme, de générosité et de solidarité. Il a d’ailleurs mis sur pied l’organisation F.I.S.C.Q. (Fonds d’Initiatives des Sénégalais du Canada au Québec) qui a pour objectif d’encourager et de faciliter le développement économique dans la communauté, tout ça dans le même esprit d’entraide et de solidarité.

Bara Mbengue, merci infiniment de bien vouloir répondre à nos nombreuses questions afin de nous permettre de mieux vous connaître et partager votre expérience avec vos frères et sœurs sénégalais et sénégalophiles. Nous savons qu’il n’est pas toujours facile de se livrer à cœur ouvert devant un public si nombreux, mais quelle joie de pouvoir partager son expérience personnelle de vie et de permettre à la communauté sénégalaise de se connaître mieux!

Et nous profitons de l'occasion de votre entrevue au mois d'août pour vous souhaiter un très joyeux anniversaire le samedi 27 août. Tous nos meilleurs voeux de bonheur grand Bara!!

Qu’il me soit permis, d’entrée de jeu, de féliciter le RGSC d’avoir pris cette heureuse initiative des entrevues « À cœur ouvert ».

En parcourant le canevas de ces entrevues, on se rend compte qu’elles consistent en une trame à plusieurs facettes dont la plus évidente est qu’elle permet aux sénégalaises et aux sénégalais de se mieux connaître mutuellement. C’est en effet en se connaissant mieux que les sénégalaises et sénégalais expatriés de ce côté-ci de l’Atlantique pourront établir et entretenir des relations solides et saines. Chacune de ces entrevues est un apport donc à la consolidation de la communauté en terre canadienne et une brique à l’édification de la nation sénégalaise. En effet, de ce que j’ai pu lire des entrevues précédentes, la plupart des idées qui y sont exprimées contribuent soit à dresser un diagnostic des problèmes que nous pouvons connaître ici, soit à suggérer des solutions efficaces pour les résoudre ou encore à adopter des comportements empreints de civilités à l’égard de nos hôtes canadiens (québécois) à suivre des voies qui débouchent sur des acquis bénéfiques pour l’ensemble de la communauté, forgeant ainsi une image positive de celle-ci.

Je me sens donc privilégié de retenir l’attention du RGSC qui me donne ainsi l'occasion d’ajouter ma pierre à ce « nation building »; ce dont je lui suis très reconnaissant. C’est donc avec beaucoup d’humilité que je vous ouvre mon cœur tout en sachant que c’est là un exercice difficile voire périlleux tant il est illusoire de prétendre se connaître suffisamment soi-même.

RGSC : Racontez-nous un peu votre vie au Sénégal.

Je suis né à Meckhé à environ 130 km de Dakar sur la route de Saint-Louis. Pour être plus exact, je dois dire que je suis né à Jamatil et déclaré à l’état civil de Méckhé qui était à l’époque une commune de moyen exercice, il y a de cela bientôt soixante hivernages. Le Sénégal, ne l’oublions pas, était encore colonie française…

J’ai vécu sous la garde de mes grands parents maternels dans ce village du Kajoor au passé historique : c’est là en effet que le « lamanjamatil » selon la tradition intronisait le Dammeel du Kajoor. C’est également là que s’est distingué le célèbre philosophe Kocc Barma Faal.

De ma prime enfance, je me souviens de peu de choses sinon que très tôt j’ai accompagné mon grand-père (plus souvent sur ses épaules) pour aller faire paître son grand troupeau de bovins, de caprins et d’ovins…

J’ai été « arraché » de cette vie routinière certes, mais fort agréable et paisible, lorsque mon père, qui avait « émigré » à Dakar où il tenait une gargote, est venu me chercher, des mains de mon grand-père en pleurs, un samedi soir au crépuscule aux environs de mes six ans… Je débarquai ainsi à Dakar un lundi après-midi… Je fus inscrit dès le mercredi suivant (c’est le jour béni de tous pour s’inscrire) à l’école coranique de quartier Kayes Findiw… Ça allait si bien à l’école coranique qu’on en oubliât de m’inscrire à l’école « française ». Ce qui sera un corrigé un an plus tard, en même temps que mon jeune frère qui avait un an de moins que moi… À partir de là, j’ai mené une vie, ce qu’il y a de plus normal, ordinaire :

- cycle d’études primaires à l’école Faidherbe aujourd’hui Bibi Ndiaye. CEPE
- cycle secondaire au Lycée Blaise Diagne, auparavant collège d’orientation : BEPC Bac 1ère partie et Bac Sciences expérimentales
- Université de Dakar aujourd’hui Cheikh Anta Diop d’où j’ai atterri en terre québécoise depuis 1969…

Il est inutile de revenir sur le climat qui prévalait à l’époque, j’entends au plan socio-économique, quant à la moralité, à l’éthique et aux vertus. Ceux et celles qui m’ont précédé en ont fait état ; qu’il me suffise de dire que nos parents et grands parents, pour les plus chanceux, nous ont inculqué des valeurs précieuses auxquelles nous tenons encore aussi solidement et qui aujourd’hui nous font passer, même si on ne nous le dit pas ouvertement, pour des « fossiles », des « dinosaures »… Nous persistons et signons : Les Sénégalaises et les Sénégalais ainsi que le Sénégal gagneraient beaucoup à y revenir. Ne dit-on pas « Si tu ne sais plus où tu vas, retournes sur tes pas »? Néanmoins, nous devons dire à la décharge des jeunes d’aujourd’hui qui n’ont pas eu cette chance, que nous avions des modèles qui nous inspiraient courage, franchise, intégrité, humilité, foi, sens de l’honneur, de la famille, amour du travail bien fait, et j’en passe. C’est pourquoi nous avons de la difficulté à comprendre et encore plus à accepter les comportements que nous observons maintenant dans notre patrie, singulièrement mais non exclusivement sur la scène politique…

Nous n’en perdons pas pour autant espoir, car au fond de nous-mêmes, nous sommes convaincus, justement de par l’éducation que nous avons reçue de nos parents qui n’écartait pas l’optimisme, que : « Fu ndox daan taa, kuffa dellu, fekk fa tepp tepp » et qu’il existe toujours, dans ce pays des gens ou encore des gens originaires de ce pays qui l’ont quitté momentanément, dont on sait que : « Marr du leen taxa naan pootit ». L’adversité ne les dépouillera jamais de leur dignité.

RGSC : Avez-vous voyagé avant d'arriver au Canada?

Très peu en dehors du Sénégal. Si l’on excepte la Gambie que je ne considère pas comme à l’étranger, mon premier voyage à l’extérieur du Sénégal fut en 1969 aux Jeux Universitaires de l’Ouest Africain à Freetown en Sierre Leone où j’ai représenté l’Université de Dakar en athlétisme aux 5000m.

RGSC : Quel fut votre cheminement pour arriver au Canada?

J’ai accepté, sous forte pression, une bourse de l’ACDI pour des études en Éducation physique. Pourquoi sous forte pression? Parce qu’à l’époque, il existait une règle non écrite que seul(e)s les titulaires du Bac avec mention étaient éligibles pour les bourses à l’étranger. Voilà que le Canada offre, pour la première fois, trois bourses en éducation physique et que moi, en tant que sportif de classe internationale, j’étais admissible pour une de ces bourses. Le « hic » c’est que cette année-là, je devais entamer mon année de licence pour terminer mon premier cycle universitaire en Lettres Anglaises. Or si je refusais, la bourse aurait pu être retournée au Canada – indélicatesse – si j’acceptais, cela voulait dire recommencer un premier cycle universitaire d’autant plus que se posait le problème de l’équivalence des diplômes. Quel dilemme! Finalement, le ministre de la Jeunesse et des Sports de l’époque et le directeur de l’Éducation physique du même ministère m’ont convaincu en me donnant leur parole qu’ils feront leur possible pour que, ne serait-ce que le problème de l’équivalence des diplômes soit réglé à notre satisfaction. J’ai fini par accepter…

RGSC : Quand êtes-vous arrivé au Canada et comment s'est passée cette arrivée?

Je suis arrivé à Montréal (Dorval, aujourd’hui PET) le 2 octobre 1969 vers 15h00. J’étais le dernier du contingent sénégalais de cette année-là. Je devais arriver fin juillet début août, mais un problème médical a retardé mon arrivée.

Mon voyage s’est très bien déroulé, même si c’était un vol « omnibus » en ce sens que, parti de Dakar, j’ai fait escale à Nouadhibou en Mauritanie, Tanger au Maroc, Bordeaux, Paris, Amsterdam et enfin Montréal. À chaque escale, le temps de faire quelques emplettes et d’écrire quelques cartes postales pour les copains/copines que j’avais laissés derrière et hop, on repartait.

De sorte que, quand je suis arrivé à Montréal, après le passage au bureau de change, il me restait à peine deux dollars; pas même de quoi payer mon transfert jusqu’au centre-ville. De plus, de comité d’accueil qui devait m’attendre, il n’y en avait point. J’ai dû faire du « pouce », avec trois valises et mon gros sac, ce n’était pas évident. Il y avait cependant un couple qui était venu accueillir un étudiant qui venait de Trinidad et Tobago et qui devait fréquenter l’université Sir George Williams (aujourd’hui Concordia). Les heureuses coïncidences ou la main du Bon Dieu : Eux attendaient un étudiant qui n’est pas venu et moi je suis venu et mon comité d’accueil m’a fait faux bond. Ils ont gentiment accepté, à ma demande, de me déposer au 265 Ouest, Avenue Mont-Royal, l’adresse de ma faculté, même si eux-mêmes habitaient Ville Lasalle.

Le temps pressait. Je suis arrivé environ 2 minutes avant 17h00 avec mes valises à la faculté et je me suis tout de suite dépêché d’appeler le service d’accueil de l’université de Montréal pour raconter mes déboires. À l’autre bout du fil, Mlle Beauregard m’informe qu’on avait réservé une chambre pour moi au 247A rue Villeneuve. La conversation, en plus d’être rassurante, était tout aussi amusante, car la dame, pour me donner les indications pour me rendre à ma nouvelle adresse, s’est mise à faire référence au Nord et autres points cardinaux. Elle fut interloquée quand je me suis mis à rire pour ensuite lui dire « Madame, vous rendez-vous compte que le Nord et l’Est, je n’en ai aucune idée; je viens à peine de poser les pieds sur cette terre. Pourriez-vous faire référence plutôt à ma gauche ou ma droite. » Elle a aussitôt réalisé qu’effectivement, ce serait plus efficace de m’orienter de cette façon. On s’est expliqué le lendemain. L’heureux dénouement, c’est que je n’avais pas plutôt déposé le combiné que ma compatriote, Aminata Diagne, me sauta au cou. Elle était arrivée depuis le début de septembre et logeait à la même adresse que moi; nous devions fréquenter la même faculté.

RGSC : Le Québec : quelles sont vos impressions?

Vous conviendrez avec moi qu’il y a beaucoup de choses à dire sur mes impressions sur le Québec post expo. Tellement de choses que je vais me contenter de résumer. Il va sans dire que le premier aperçu que j’en ai eu c’est du haut des airs, les instants qui précédaient l’atterrissage. Ces couleurs vives que j’appréciais de mon hublot, c’était déjà l’automne. Ensuite, cette île découpée en quadrilatères ordonnés, ces rues rectilignes où on pouvait apercevoir les voitures circuler et les échangeurs qui faisaient déjà sentir la fluidité de la circulation et l’ordre qui pouvait y régner. Cela à la différence de Paris où j’ai pu avoir une petite idée, au dessus de l’épaule de mon voisin qui était au hublot, de la Tour Eiffel illuminée mais pas plus; j’y suis arrivé la nuit.

Plus que l’ordre, il y a aussi le sentiment de sécurité et de liberté, de sérénité et de convivialité. À la descente d’avion, pas de précipitation, aucune bousculade, accueil affable des agents qui se faisaient à l’époque un plaisir à vous venir en aide, en vous donnant les informations nécessaires; il en était de même pour les gens ordinaires.

Après tant d’années – j’ai vécu plus longtemps au Québec que dans mon Sénégal natal – après avoir fait presque toutes les régions du Québec, malgré les vicissitudes, mes impressions se sont confirmées et cristallisées, bien sûr avec toutes les nuances qu’aujourd’hui, je suis en mesure d’y mettre.

RGSC : Pourriez-vous nous présenter votre famille?

Je vis avec ma femme, Seynabou DIAO (secondes noces) depuis 1994 et nos cinq enfants : Koumba, Yacine, Ibrahima, Khadidjatou et Omar. J’ai également un jeune frère qui vit ici depuis 1987; il est marié et père d’une fille.

RGSC : Quel est votre domaine professionnel?

J’ai toujours exercé la profession d’éducateur physique depuis 1972 jusqu’à ma retraite (anticipée) en 2003. Mais j’ai également une formation en Gestion de l’école des HEC (deuxième cycle en 1982). Et aussi une formation en Développement économique communautaire (2ème cycle Concordia). Mais je me suis illustré le plus dans le syndicalisme à la Confédération des Syndicats Nationaux, surtout à son Conseil Central du Montréal Métropolitain.

RGSC : De quelle façon avez-vous entendu parler du projet de création d’un regroupement sénégalais? Comment vous y êtes-vous intéressée?

Je n’en ai pas entendu parlé, je suis un des fondateurs et je voudrais tout de suite dissiper un mythe. Celui qui veut que le RGSC soit né en juin 1994. Ce n’est pas exact. La vérité est que l’ARSC (Association des Ressortissants Sénégalais du Canada), dont j’ai encore moi-même les lettres patentes, avait donné naissance à trois groupes. Ce sont ces groupes qui ont été réunifiés en 1994 suite à des discussions qui se sont étalées sur une longue période. La plupart des gens qui étaient ici à l’époque vous le confirmeront. Notez que l’ARSC a connu de très beaux moments de gloire. Les semaines sénégalaises étaient aussi courues que maintenant. Et quand j’ai quitté le présidence de l’ARSC, on en était à la douzième. Pour résumer, le RGSC et son aïeule l’ARSC sont une seule et même entité. Et cette entité est née le 16 avril 1976. Autrement dit le 16 avril dernier, avec le Gala que nous avons organisé, nous avons fêté notre 29ième anniversaire à l’insu de beaucoup de gens.

RGSC : Vous êtes le président fondateur de l’organisation F.I.S.C.Q. (Fonds d’Initiatives des Sénégalais du Canada au Québec). Parlez-nous de cet organisme.

Quand j’oeuvrais dans le mouvement syndical, j’ai pu me rendre compte que certaines communautés faisaient face à une discrimination systémique, au racisme même, et les vœux pieux n’y ont rien changé du tout. C’est alors que m’appuyant sur nos valeurs ancestrales de solidarité et d’entraide, j’ai pensé apporter une réponse aux conditions de vie que nous connaissions en exil. Face aux difficultés que nous rencontrions, il fallait une prise en charge collective. Cela voulait dire pour moi, mettre fin au misérabilisme, à la victimisation et dépasser la simple dénonciation. Cela voulait dire entreprendre une démarche revendicative, s’appuyant sur une prise en charge effective de la communauté par elle-même. Cette démarche doit s’inscrire dans la durée, donc être empreinte de patience.

Le FISCQ consiste en une mise en commun de nos épargnes dans le but de bâtir une force économique. Il se fonde sur l’honnêteté, la confiance en soi d’abord et aux autres avec qui on s’associe ensuite. Il se fonde également sur le sérieux et la détermination, le dévouement au travail collectif.

Dans le FISCQ, nous devons garder en mémoire que nous sommes des ambassadeurs, les meilleurs en fait, de notre pays à l’étranger. Nous devons donc adopter un comportement irréprochable dans tout ce que nous faisons. C’est à nous qu’il revient de commander le respect vis-à-vis de nous et à travers nous vis-à-vis de notre pays.

Le FISCQ se veut être un premier jalon pour les générations futures, nos enfants nés et élevés ici, donc des citoyens à part entière de ce pays. Nous devons dès à présent leur procurer les moyens de s’intégrer pleinement dans toutes les sphères de la société, à l’instar des communautés italienne, grecque, portugaise, juive, etc.

Le FISCQ souhaite édifier des assises économiques solides qui à terme seront à même d’appuyer des échanges fructueux et mutuellement profitables entre notre pays d’origine et notre pays d’accueil autant en termes de débouchés que de possibilités d’investissement.

RGSC : Quels sont vos intérêts et passions ? Qu'aimez-vous particulièrement?

Ce qui m’intéresse au plus haut point, ce sont les relations humaines, les échanges avec des gens de toutes sensibilités et de toutes origines. J’adore établir des ponts, rechercher des solutions consensuelles aux problèmes que nous rencontrons pour donner un sens à la vie. Dans le monde aujourd’hui la vie n’a pas de sens à mon humble avis. Comment pourrait-elle en avoir en effet quand l’individualisme poussé à son extrême est érigé en système; quand à peine 12% des personnes disposent de près de 80% des richesses de la planète sans aucun désir décelable de partager alors qu’une proportion significative de la population mondiale n’a pas accès au minimum vital?

Comment pourrait-elle en avoir quand les « guerres » sous tous les prétextes, tous aussi fallacieux les uns que les autres, sévissent partout, générées uniquement par la cupidité; quand la disette, la maladie, voir une pandémie comme le SIDA, les catastrophes naturelles hautement prévisibles et évitables, la xénophobie et l’intolérance sont monnaie courante?

Comment pourrait-elle en avoir quand un continent comme l’Afrique, où les problèmes que je viens d’énumérer y sévissent à la puissance sept, est abandonné à lui-même, parce que pour l’instant considéré comme quantité négligeable. Comme on le voit, les perspectives sont pour le moins lugubres, mais il ne faut pas laisser place au découragement; aussi me suis-je donné comme engagement à mon niveau de toujours agir afin de faire partie des solutions plutôt que des problèmes et je veux que cela se traduise dans tout ce que je fais : « The smallest good deed is better dans the grandest good intention. »

RGSC : Enrichi de votre expérience personnelle, quels conseils donneriez-vous aux nouveaux arrivants?

Je veux partager avec les nouveaux arrivants les conseils que m’a prodigués mon père ce matin d’octobre où je quittais le Sénégal pour le Canada.

Tenant ma main gauche dans la sienne – c’est la main que l’on serre quand on se sépare – il m’a dit ceci : « Ce que je pouvais te donner, je te l’ai déjà donné; c’est une bonne éducation, la meilleure que je pouvais te donner en fonction des moyens dont le Bon Dieu a eu le bonté de me gratifier. Tu t’en vas avec ma bénédiction, mais je veux que tu te rappelles que, ce que ta politesse ne te confère pas, ce n’est pas ton impolitesse qui te le conférera. Ne prend jamais ce qui ne te revient pas, car ce qui te revient est inscrit par le Bon Dieu sur ton front et personne ne peut t’en priver. En contrepartie, ce qui n’est pas inscrit sur ton front, quels que soient les efforts que tu déploieras, tu ne l’atteindras jamais. Remets-toi à Dieu et pense à nous. » Après quoi il a prononcé une prière en arabe qui veut dire ceci : « Dieu fasse que nous nous revoyions après la séparation. » Puis il m’a dit : « Vas et ne te retourne pas. »

Ces propos résonnent encore dans ma tête même après plus de 35 ans et après maintenant plus de dix ans que mon père est mort. Maintes fois passés au crible de la réflexion et de la méditation, j’y ai toujours vu une exhortation à la foi en Dieu, à l’intégrité, à la confiance en soi, à la patience et à la détermination. C’est le bouclier qui m’a permis de faire face aux problèmes d’adaptation. En arrivant en terre canadienne, on est en terre étrangère. Dès lors, il faut s’adapter. Toute adaptation est difficile, mais pour qu’elle soit relativement bien réussie, il faut y mettre le prix. Il faut profiter de cette phase pour essayer de corriger nos travers et adopter des comportements irréprochables où que l’on se trouve. Il ne faut guère s’isoler, il faut se mêler aux gens; évidemment en gardant les distances qu’il faut en ayant en mémoire que se respecter soi-même commande le même respect des autres vis-à-vis de soi.

RGSC : Quel message aimeriez-vous communiquer à l’ensemble des sénégalaises et sénégalais qui sont au Canada?

Je renouvelle ma confiance à toutes les sénégalaises et à tous les sénégalais en terre canadienne, car je sais ce qui est dans leur cœur; c’est ce qui est dans le mien. Je les exhorte à l’optimisme et à la poursuite de leur rêve, le succès est au bout de l’effort donc « Goorgorlu moy indi ndam. » Cultivez vos valeurs enfouies en vous-mêmes. Le jomm, le ngorr, le fitt… soyez des exemples partout où vous vous trouvez, vous êtes des ambassadeurs. Faites de la rectitude votre code de conduite, ayez confiance en vous et foncez.

RGSC : Parlez-nous de votre vision du Sénégal d'aujourd'hui et de demain

Le Sénégal d’aujourd’hui a tous les atouts pour être un pays phare, un pays modèle pour le monde entier. Il suffit que ses citoyennes et citoyens, particulièrement ceux et celles qui détiennent les rênes du pouvoir, s’en convainquent. C’est dommage que nos dirigeants n’en soient pas convaincus. Moi je suis convaincu que toutes les ressources sont là pour qu’à l’intérieur d’une décennie, le Sénégal se range parmi les pays développés. Le principal atout d’un pays, c’est son peuple et le peuple sénégalais est valeureux, travailleur, frugal par essence et entreprenant. Si on lui donne les moyens, il a suffisamment le sens de l’autonomie pour s’en sortir. Malheureusement, il est actuellement tenu en laisse, une laisse de plus en plus courte, par l’absence de moyens nonobstant les compétences.

Mais l’optimiste en moi se dit que le moment n’est plus loin d’une prise de conscience collective des énormes capacités que recèle notre pays et des immenses avantages qui peuvent découler de leur mobilisation.

RGSC : Quels sont vos rêves, vos ambitions et vos projets?

Mon rêve c’est de voir le Sénégal discuter le leadership mondial de ses réussites sur le plan du développement économique, social, culturel, politique, non pas en termes quantitatifs, mais qualitatifs. Pour me résumer, disons que nous avons suffisamment de ressources pour éradiquer la pauvreté, l’ignorance, tenir tête à la maladie, améliorer le « vivre en commun » et promouvoir le dialogue des cultures et des civilisations, en ayant préalablement raffiné et rendu accessibles au plus grand nombre nos cultures traditionnelles.

Au carrefour de mes rêves, de mes ambitions et projets, il y a que (-tout Sénégalais, toute Sénégalaise qui vit à l’étranger ne le fait jamais définitivement-) je caresse secrètement le désir de rentrer un jour au pays pour apporter –fut-ce une brique – pour construire notre patrie et la mettre sur la voie d’un progrès qui jaillit de paumes tournées vers la terre plutôt que vers le ciel.

RGSC : Nous aimerions que vous puissez formuler vous-même le mot de la fin de cette entrevue…

D’abord remercier le RGSC de l’opportunité qu’il m’a offerte d’assumer mon rôle de « doyen » de la communauté, non pas nécessairement en âge, mais en terme de séjour. Ce rôle consiste pour moi à revisiter au profit surtout des jeunes sénégalaises et sénégalais les principales caractéristiques de l’homo sénégalensis, de les rappeler avec insistance et sans crainte de paraître passéiste. En observant ce qui se passe aujourd’hui au Sénégal, on conviendra aisément que de tels rappels périodiques ne sont pas inutiles.

Ce rôle consiste également à inviter sénégalaises et sénégalais à se rapprocher du RGSC et de lui donner la force et la crédibilité qui doivent être les siennes en étant conscientes et conscients que celles-ci déteindront nécessairement sur chacune et chacun, et conféreront reconnaissance et respect. Je me sens heureux et soulagé d’avoir joué ce rôle et je souhaite très longue vie et beaucoup de succès au RGSC.

Je regrette d’avoir été long et espère que l’utilité pourra compenser ce désagrément. Encore une fois MERCI.

RGSC :

C’est le RGSC qui vous redit un grand merci Grand Bara d’avoir bien voulu participer à cette entrevue et d’avoir accepté de vous livrer ouvertement au profit de nos lecteurs sénégalais et sénégalophiles.

Merci de nous avoir permis de vous connaître mieux. Au nom du Bureau Exécutif et du CA, nous vous redisons notre gratitude pour votre implication constante et votre dévouement pour le RGSC et auprès de la communauté sénégalaise.

Propos recueillis par Julie "Bintou" Bienvenue webmaster@rgsc.ca