Voici une entrevue avec M. Bara Muhammad Mbengue que j'ai trouvée sur le site du Regroupement Général des Sénégalais du Canada (RGSC). Je la partage avec vous (Tous droits réservés par le RGSC).
1er août 2005
Entrevue avec : M. Bara Muhammad Mbengue
Il est un amoureux de ses origines sénégalaises et de la communauté sénégalaise. Il cherche à améliorer le sort de ses compatriotes dans un esprit permanent d’humanisme, de générosité et de solidarité. Il a d’ailleurs mis sur pied l’organisation F.I.S.C.Q. (Fonds d’Initiatives des Sénégalais du Canada au Québec) qui a pour objectif d’encourager et de faciliter le développement économique dans la communauté, tout ça dans le même esprit d’entraide et de solidarité.
Bara Mbengue, merci infiniment de bien vouloir répondre à nos nombreuses questions afin de nous permettre de mieux vous connaître et partager votre expérience avec vos frères et sœurs sénégalais et sénégalophiles. Nous savons qu’il n’est pas toujours facile de se livrer à cœur ouvert devant un public si nombreux, mais quelle joie de pouvoir partager son expérience personnelle de vie et de permettre à la communauté sénégalaise de se connaître mieux!
Et nous profitons de l'occasion de votre entrevue au mois d'août pour vous souhaiter un très joyeux anniversaire le samedi 27 août. Tous nos meilleurs voeux de bonheur grand Bara!!
Qu’il me soit permis, d’entrée de jeu, de féliciter le RGSC d’avoir pris cette heureuse initiative des entrevues « À cœur ouvert ».
En parcourant le canevas de ces entrevues, on se rend compte qu’elles consistent en une trame à plusieurs facettes dont la plus évidente est qu’elle permet aux sénégalaises et aux sénégalais de se mieux connaître mutuellement. C’est en effet en se connaissant mieux que les sénégalaises et sénégalais expatriés de ce côté-ci de l’Atlantique pourront établir et entretenir des relations solides et saines. Chacune de ces entrevues est un apport donc à la consolidation de la communauté en terre canadienne et une brique à l’édification de la nation sénégalaise. En effet, de ce que j’ai pu lire des entrevues précédentes, la plupart des idées qui y sont exprimées contribuent soit à dresser un diagnostic des problèmes que nous pouvons connaître ici, soit à suggérer des solutions efficaces pour les résoudre ou encore à adopter des comportements empreints de civilités à l’égard de nos hôtes canadiens (québécois) à suivre des voies qui débouchent sur des acquis bénéfiques pour l’ensemble de la communauté, forgeant ainsi une image positive de celle-ci.
Je me sens donc privilégié de retenir l’attention du RGSC qui me donne ainsi l'occasion d’ajouter ma pierre à ce « nation building »; ce dont je lui suis très reconnaissant. C’est donc avec beaucoup d’humilité que je vous ouvre mon cœur tout en sachant que c’est là un exercice difficile voire périlleux tant il est illusoire de prétendre se connaître suffisamment soi-même.
RGSC : Racontez-nous un peu votre vie au Sénégal.
J’ai vécu sous la garde de mes grands parents maternels dans ce village du Kajoor au passé historique : c’est là en effet que le « lamanjamatil » selon la tradition intronisait le Dammeel du Kajoor. C’est également là que s’est distingué le célèbre philosophe Kocc Barma Faal.
De ma prime enfance, je me souviens de peu de choses sinon que très tôt j’ai accompagné mon grand-père (plus souvent sur ses épaules) pour aller faire paître son grand troupeau de bovins, de caprins et d’ovins…
J’ai été « arraché » de cette vie routinière certes, mais fort agréable et paisible, lorsque mon père, qui avait « émigré » à Dakar où il tenait une gargote, est venu me chercher, des mains de mon grand-père en pleurs, un samedi soir au crépuscule aux environs de mes six ans… Je débarquai ainsi à Dakar un lundi après-midi… Je fus inscrit dès le mercredi suivant (c’est le jour béni de tous pour s’inscrire) à l’école coranique de quartier Kayes Findiw… Ça allait si bien à l’école coranique qu’on en oubliât de m’inscrire à l’école « française ». Ce qui sera un corrigé un an plus tard, en même temps que mon jeune frère qui avait un an de moins que moi… À partir de là, j’ai mené une vie, ce qu’il y a de plus normal, ordinaire :
- cycle d’études primaires à l’école Faidherbe aujourd’hui Bibi Ndiaye. CEPE
- cycle secondaire au Lycée Blaise Diagne, auparavant collège d’orientation : BEPC Bac 1ère partie et Bac Sciences expérimentales
- Université de Dakar aujourd’hui Cheikh Anta Diop d’où j’ai atterri en terre québécoise depuis 1969…
Il est inutile de revenir sur le climat qui prévalait à l’époque, j’entends au plan socio-économique, quant à la moralité, à l’éthique et aux vertus. Ceux et celles qui m’ont précédé en ont fait état ; qu’il me suffise de dire que nos parents et grands parents, pour les plus chanceux, nous ont inculqué des valeurs précieuses auxquelles nous tenons encore aussi solidement et qui aujourd’hui nous font passer, même si on ne nous le dit pas ouvertement, pour des « fossiles », des « dinosaures »… Nous persistons et signons : Les Sénégalaises et les Sénégalais ainsi que le Sénégal gagneraient beaucoup à y revenir. Ne dit-on pas « Si tu ne sais plus où tu vas, retournes sur tes pas »? Néanmoins, nous devons dire à la décharge des jeunes d’aujourd’hui qui n’ont pas eu cette chance, que nous avions des modèles qui nous inspiraient courage, franchise, intégrité, humilité, foi, sens de l’honneur, de la famille, amour du travail bien fait, et j’en passe. C’est pourquoi nous avons de la difficulté à comprendre et encore plus à accepter les comportements que nous observons maintenant dans notre patrie, singulièrement mais non exclusivement sur la scène politique…
Nous n’en perdons pas pour autant espoir, car au fond de nous-mêmes, nous sommes convaincus, justement de par l’éducation que nous avons reçue de nos parents qui n’écartait pas l’optimisme, que : « Fu ndox daan taa, kuffa dellu, fekk fa tepp tepp » et qu’il existe toujours, dans ce pays des gens ou encore des gens originaires de ce pays qui l’ont quitté momentanément, dont on sait que : « Marr du leen taxa naan pootit ». L’adversité ne les dépouillera jamais de leur dignité.
RGSC : Avez-vous voyagé avant d'arriver au Canada?
Très peu en dehors du Sénégal. Si l’on excepte la Gambie que je ne considère pas comme à l’étranger, mon premier voyage à l’extérieur du Sénégal fut en 1969 aux Jeux Universitaires de l’Ouest Africain à Freetown en Sierre Leone où j’ai représenté l’Université de Dakar en athlétisme aux 5000m.
J’ai accepté, sous forte pression, une bourse de l’ACDI pour des études en Éducation physique. Pourquoi sous forte pression? Parce qu’à l’époque, il existait une règle non écrite que seul(e)s les titulaires du Bac avec mention étaient éligibles pour les bourses à l’étranger. Voilà que le Canada offre, pour la première fois, trois bourses en éducation physique et que moi, en tant que sportif de classe internationale, j’étais admissible pour une de ces bourses. Le « hic » c’est que cette année-là, je devais entamer mon année de licence pour terminer mon premier cycle universitaire en Lettres Anglaises. Or si je refusais, la bourse aurait pu être retournée au Canada – indélicatesse – si j’acceptais, cela voulait dire recommencer un premier cycle universitaire d’autant plus que se posait le problème de l’équivalence des diplômes. Quel dilemme! Finalement, le ministre de la Jeunesse et des Sports de l’époque et le directeur de l’Éducation physique du même ministère m’ont convaincu en me donnant leur parole qu’ils feront leur possible pour que, ne serait-ce que le problème de l’équivalence des diplômes soit réglé à notre satisfaction. J’ai fini par accepter…
Je suis arrivé à Montréal (Dorval, aujourd’hui PET) le 2 octobre 1969 vers 15h00. J’étais le dernier du contingent sénégalais de cette année-là. Je devais arriver fin juillet début août, mais un problème médical a retardé mon arrivée.
Mon voyage s’est très bien déroulé, même si c’était un vol « omnibus » en ce sens que, parti de Dakar, j’ai fait escale à Nouadhibou en Mauritanie, Tanger au Maroc, Bordeaux, Paris, Amsterdam et enfin Montréal. À chaque escale, le temps de faire quelques emplettes et d’écrire quelques cartes postales pour les copains/copines que j’avais laissés derrière et hop, on repartait.
De sorte que, quand je suis arrivé à Montréal, après le passage au bureau de change, il me restait à peine deux dollars; pas même de quoi payer mon transfert jusqu’au centre-ville. De plus, de comité d’accueil qui devait m’attendre, il n’y en avait point. J’ai dû faire du « pouce », avec trois valises et mon gros sac, ce n’était pas évident. Il y avait cependant un couple qui était venu accueillir un étudiant qui venait de Trinidad et Tobago et qui devait fréquenter l’université Sir George Williams (aujourd’hui Concordia). Les heureuses coïncidences ou la main du Bon Dieu : Eux attendaient un étudiant qui n’est pas venu et moi je suis venu et mon comité d’accueil m’a fait faux bond. Ils ont gentiment accepté, à ma demande, de me déposer au 265 Ouest, Avenue Mont-Royal, l’adresse de ma faculté, même si eux-mêmes habitaient Ville Lasalle.
Le temps pressait. Je suis arrivé environ 2 minutes avant 17h00 avec mes valises à la faculté et je me suis tout de suite dépêché d’appeler le service d’accueil de l’université de Montréal pour raconter mes déboires. À l’autre bout du fil, Mlle Beauregard m’informe qu’on avait réservé une chambre pour moi au 247A rue Villeneuve. La conversation, en plus d’être rassurante, était tout aussi amusante, car la dame, pour me donner les indications pour me rendre à ma nouvelle adresse, s’est mise à faire référence au Nord et autres points cardinaux. Elle fut interloquée quand je me suis mis à rire pour ensuite lui dire « Madame, vous rendez-vous compte que le Nord et l’Est, je n’en ai aucune idée; je viens à peine de poser les pieds sur cette terre. Pourriez-vous faire référence plutôt à ma gauche ou ma droite. » Elle a aussitôt réalisé qu’effectivement, ce serait plus efficace de m’orienter de cette façon. On s’est expliqué le lendemain. L’heureux dénouement, c’est que je n’avais pas plutôt déposé le combiné que ma compatriote, Aminata Diagne, me sauta au cou. Elle était arrivée depuis le début de septembre et logeait à la même adresse que moi; nous devions fréquenter la même faculté.
Vous conviendrez avec moi qu’il y a beaucoup de choses à dire sur mes impressions sur le Québec post expo. Tellement de choses que je vais me contenter de résumer. Il va sans dire que le premier aperçu que j’en ai eu c’est du haut des airs, les instants qui précédaient l’atterrissage. Ces couleurs vives que j’appréciais de mon hublot, c’était déjà l’automne. Ensuite, cette île découpée en quadrilatères ordonnés, ces rues rectilignes où on pouvait apercevoir les voitures circuler et les échangeurs qui faisaient déjà sentir la fluidité de la circulation et l’ordre qui pouvait y régner. Cela à la différence de Paris où j’ai pu avoir une petite idée, au dessus de l’épaule de mon voisin qui était au hublot, de la Tour Eiffel illuminée mais pas plus; j’y suis arrivé la nuit.
Plus que l’ordre, il y a aussi le sentiment de sécurité et de liberté, de sérénité et de convivialité. À la descente d’avion, pas de précipitation, aucune bousculade, accueil affable des agents qui se faisaient à l’époque un plaisir à vous venir en aide, en vous donnant les informations nécessaires; il en était de même pour les gens ordinaires.
Après tant d’années – j’ai vécu plus longtemps au Québec que dans mon Sénégal natal – après avoir fait presque toutes les régions du Québec, malgré les vicissitudes, mes impressions se sont confirmées et cristallisées, bien sûr avec toutes les nuances qu’aujourd’hui, je suis en mesure d’y mettre.
RGSC : Pourriez-vous nous présenter votre famille?
Je vis avec ma femme, Seynabou DIAO (secondes noces) depuis 1994 et nos cinq enfants : Koumba, Yacine, Ibrahima, Khadidjatou et Omar. J’ai également un jeune frère qui vit ici depuis 1987; il est marié et père d’une fille.
RGSC : Quel est votre domaine professionnel?
J’ai toujours exercé la profession d’éducateur physique depuis 1972 jusqu’à ma retraite (anticipée) en 2003. Mais j’ai également une formation en Gestion de l’école des HEC (deuxième cycle en 1982). Et aussi une formation en Développement économique communautaire (2ème cycle Concordia). Mais je me suis illustré le plus dans le syndicalisme à la Confédération des Syndicats Nationaux, surtout à son Conseil Central du Montréal Métropolitain.
RGSC : De quelle façon avez-vous entendu parler du projet de création d’un regroupement sénégalais? Comment vous y êtes-vous intéressée?
Je n’en ai pas entendu parlé, je suis un des fondateurs et je voudrais tout de suite dissiper un mythe. Celui qui veut que le RGSC soit né en juin 1994. Ce n’est pas exact. La vérité est que l’ARSC (Association des Ressortissants Sénégalais du Canada), dont j’ai encore moi-même les lettres patentes, avait donné naissance à trois groupes. Ce sont ces groupes qui ont été réunifiés en 1994 suite à des discussions qui se sont étalées sur une longue période. La plupart des gens qui étaient ici à l’époque vous le confirmeront. Notez que l’ARSC a connu de très beaux moments de gloire. Les semaines sénégalaises étaient aussi courues que maintenant. Et quand j’ai quitté le présidence de l’ARSC, on en était à la douzième. Pour résumer, le RGSC et son aïeule l’ARSC sont une seule et même entité. Et cette entité est née le 16 avril 1976. Autrement dit le 16 avril dernier, avec le Gala que nous avons organisé, nous avons fêté notre 29ième anniversaire à l’insu de beaucoup de gens.
RGSC : Vous êtes le président fondateur de l’organisation F.I.S.C.Q. (Fonds d’Initiatives des Sénégalais du Canada au Québec). Parlez-nous de cet organisme.
Quand j’oeuvrais dans le mouvement syndical, j’ai pu me rendre compte que certaines communautés faisaient face à une discrimination systémique, au racisme même, et les vœux pieux n’y ont rien changé du tout. C’est alors que m’appuyant sur nos valeurs ancestrales de solidarité et d’entraide, j’ai pensé apporter une réponse aux conditions de vie que nous connaissions en exil. Face aux difficultés que nous rencontrions, il fallait une prise en charge collective. Cela voulait dire pour moi, mettre fin au misérabilisme, à la victimisation et dépasser la simple dénonciation. Cela voulait dire entreprendre une démarche revendicative, s’appuyant sur une prise en charge effective de la communauté par elle-même. Cette démarche doit s’inscrire dans la durée, donc être empreinte de patience.
Le FISCQ consiste en une mise en commun de nos épargnes dans le but de bâtir une force économique. Il se fonde sur l’honnêteté, la confiance en soi d’abord et aux autres avec qui on s’associe ensuite. Il se fonde également sur le sérieux et la détermination, le dévouement au travail collectif.
Dans le FISCQ, nous devons garder en mémoire que nous sommes des ambassadeurs, les meilleurs en fait, de notre pays à l’étranger. Nous devons donc adopter un comportement irréprochable dans tout ce que nous faisons. C’est à nous qu’il revient de commander le respect vis-à-vis de nous et à travers nous vis-à-vis de notre pays.
Le FISCQ se veut être un premier jalon pour les générations futures, nos enfants nés et élevés ici, donc des citoyens à part entière de ce pays. Nous devons dès à présent leur procurer les moyens de s’intégrer pleinement dans toutes les sphères de la société, à l’instar des communautés italienne, grecque, portugaise, juive, etc.
Le FISCQ souhaite édifier des assises économiques solides qui à terme seront à même d’appuyer des échanges fructueux et mutuellement profitables entre notre pays d’origine et notre pays d’accueil autant en termes de débouchés que de possibilités d’investissement.
RGSC : Quels sont vos intérêts et passions ? Qu'aimez-vous particulièrement?
Ce qui m’intéresse au plus haut point, ce sont les relations humaines, les échanges avec des gens de toutes sensibilités et de toutes origines. J’adore établir des ponts, rechercher des solutions consensuelles aux problèmes que nous rencontrons pour donner un sens à la vie. Dans le monde aujourd’hui la vie n’a pas de sens à mon humble avis. Comment pourrait-elle en avoir en effet quand l’individualisme poussé à son extrême est érigé en système; quand à peine 12% des personnes disposent de près de 80% des richesses de la planète sans aucun désir décelable de partager alors qu’une proportion significative de la population mondiale n’a pas accès au minimum vital?
Comment pourrait-elle en avoir quand les « guerres » sous tous les prétextes, tous aussi fallacieux les uns que les autres, sévissent partout, générées uniquement par la cupidité; quand la disette, la maladie, voir une pandémie comme le SIDA, les catastrophes naturelles hautement prévisibles et évitables, la xénophobie et l’intolérance sont monnaie courante?
Comment pourrait-elle en avoir quand un continent comme l’Afrique, où les problèmes que je viens d’énumérer y sévissent à la puissance sept, est abandonné à lui-même, parce que pour l’instant considéré comme quantité négligeable. Comme on le voit, les perspectives sont pour le moins lugubres, mais il ne faut pas laisser place au découragement; aussi me suis-je donné comme engagement à mon niveau de toujours agir afin de faire partie des solutions plutôt que des problèmes et je veux que cela se traduise dans tout ce que je fais : « The smallest good deed is better dans the grandest good intention. »
RGSC : Enrichi de votre expérience personnelle, quels conseils donneriez-vous aux nouveaux arrivants?
Je veux partager avec les nouveaux arrivants les conseils que m’a prodigués mon père ce matin d’octobre où je quittais le Sénégal pour le Canada.
Tenant ma main gauche dans la sienne – c’est la main que l’on serre quand on se sépare – il m’a dit ceci : « Ce que je pouvais te donner, je te l’ai déjà donné; c’est une bonne éducation, la meilleure que je pouvais te donner en fonction des moyens dont le Bon Dieu a eu le bonté de me gratifier. Tu t’en vas avec ma bénédiction, mais je veux que tu te rappelles que, ce que ta politesse ne te confère pas, ce n’est pas ton impolitesse qui te le conférera. Ne prend jamais ce qui ne te revient pas, car ce qui te revient est inscrit par le Bon Dieu sur ton front et personne ne peut t’en priver. En contrepartie, ce qui n’est pas inscrit sur ton front, quels que soient les efforts que tu déploieras, tu ne l’atteindras jamais. Remets-toi à Dieu et pense à nous. » Après quoi il a prononcé une prière en arabe qui veut dire ceci : « Dieu fasse que nous nous revoyions après la séparation. » Puis il m’a dit : « Vas et ne te retourne pas. »
Ces propos résonnent encore dans ma tête même après plus de 35 ans et après maintenant plus de dix ans que mon père est mort. Maintes fois passés au crible de la réflexion et de la méditation, j’y ai toujours vu une exhortation à la foi en Dieu, à l’intégrité, à la confiance en soi, à la patience et à la détermination. C’est le bouclier qui m’a permis de faire face aux problèmes d’adaptation. En arrivant en terre canadienne, on est en terre étrangère. Dès lors, il faut s’adapter. Toute adaptation est difficile, mais pour qu’elle soit relativement bien réussie, il faut y mettre le prix. Il faut profiter de cette phase pour essayer de corriger nos travers et adopter des comportements irréprochables où que l’on se trouve. Il ne faut guère s’isoler, il faut se mêler aux gens; évidemment en gardant les distances qu’il faut en ayant en mémoire que se respecter soi-même commande le même respect des autres vis-à-vis de soi.
Je renouvelle ma confiance à toutes les sénégalaises et à tous les sénégalais en terre canadienne, car je sais ce qui est dans leur cœur; c’est ce qui est dans le mien. Je les exhorte à l’optimisme et à la poursuite de leur rêve, le succès est au bout de l’effort donc « Goorgorlu moy indi ndam. » Cultivez vos valeurs enfouies en vous-mêmes. Le jomm, le ngorr, le fitt… soyez des exemples partout où vous vous trouvez, vous êtes des ambassadeurs. Faites de la rectitude votre code de conduite, ayez confiance en vous et foncez.
Le Sénégal d’aujourd’hui a tous les atouts pour être un pays phare, un pays modèle pour le monde entier. Il suffit que ses citoyennes et citoyens, particulièrement ceux et celles qui détiennent les rênes du pouvoir, s’en convainquent. C’est dommage que nos dirigeants n’en soient pas convaincus. Moi je suis convaincu que toutes les ressources sont là pour qu’à l’intérieur d’une décennie, le Sénégal se range parmi les pays développés. Le principal atout d’un pays, c’est son peuple et le peuple sénégalais est valeureux, travailleur, frugal par essence et entreprenant. Si on lui donne les moyens, il a suffisamment le sens de l’autonomie pour s’en sortir. Malheureusement, il est actuellement tenu en laisse, une laisse de plus en plus courte, par l’absence de moyens nonobstant les compétences.
Mais l’optimiste en moi se dit que le moment n’est plus loin d’une prise de conscience collective des énormes capacités que recèle notre pays et des immenses avantages qui peuvent découler de leur mobilisation.
Mon rêve c’est de voir le Sénégal discuter le leadership mondial de ses réussites sur le plan du développement économique, social, culturel, politique, non pas en termes quantitatifs, mais qualitatifs. Pour me résumer, disons que nous avons suffisamment de ressources pour éradiquer la pauvreté, l’ignorance, tenir tête à la maladie, améliorer le « vivre en commun » et promouvoir le dialogue des cultures et des civilisations, en ayant préalablement raffiné et rendu accessibles au plus grand nombre nos cultures traditionnelles.
Au carrefour de mes rêves, de mes ambitions et projets, il y a que (-tout Sénégalais, toute Sénégalaise qui vit à l’étranger ne le fait jamais définitivement-) je caresse secrètement le désir de rentrer un jour au pays pour apporter –fut-ce une brique – pour construire notre patrie et la mettre sur la voie d’un progrès qui jaillit de paumes tournées vers la terre plutôt que vers le ciel.
D’abord remercier le RGSC de l’opportunité qu’il m’a offerte d’assumer mon rôle de « doyen » de la communauté, non pas nécessairement en âge, mais en terme de séjour. Ce rôle consiste pour moi à revisiter au profit surtout des jeunes sénégalaises et sénégalais les principales caractéristiques de l’homo sénégalensis, de les rappeler avec insistance et sans crainte de paraître passéiste. En observant ce qui se passe aujourd’hui au Sénégal, on conviendra aisément que de tels rappels périodiques ne sont pas inutiles.
Ce rôle consiste également à inviter sénégalaises et sénégalais à se rapprocher du RGSC et de lui donner la force et la crédibilité qui doivent être les siennes en étant conscientes et conscients que celles-ci déteindront nécessairement sur chacune et chacun, et conféreront reconnaissance et respect. Je me sens heureux et soulagé d’avoir joué ce rôle et je souhaite très longue vie et beaucoup de succès au RGSC.
Je regrette d’avoir été long et espère que l’utilité pourra compenser ce désagrément. Encore une fois MERCI.
RGSC :
C’est le RGSC qui vous redit un grand merci Grand Bara d’avoir bien voulu participer à cette entrevue et d’avoir accepté de vous livrer ouvertement au profit de nos lecteurs sénégalais et sénégalophiles.
Merci de nous avoir permis de vous connaître mieux. Au nom du Bureau Exécutif et du CA, nous vous redisons notre gratitude pour votre implication constante et votre dévouement pour le RGSC et auprès de la communauté sénégalaise.
Propos recueillis par Julie "Bintou" Bienvenue webmaster@rgsc.ca
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