Voici une entrevue avec M. Papa Diop que j'ai trouvée sur le site du Regroupement Général des Sénégalais du Canada (RGSC). Je la partage avec vous (Tous droits réservés par le RGSC).
Mars 2005
Entrevue avec : M. Papa Diop
Merci infiniment Papa Diop de bien vouloir répondre à nos nombreuses questions afin de nous permettre de mieux vous connaître et partager votre expérience avec vos frères et sœurs sénégalais et sénégalophiles. Nous savons qu’il n’est pas toujours facile de se livrer à cœur ouvert devant un public si nombreux, mais quelle joie de pouvoir partager son expérience personnelle de vie et de permettre à la communauté sénégalaise de se connaître mieux!
RGSC : Racontez-nous un peu votre vie au Sénégal.
J’ai fait mes études primaires à Cambérène, un village traditionnel layène (confrérie religieuse) près de Dakar. Ce passage à Cambérène a été très formateur et m’a profondément marqué. Les principales activités de la population « léboue » était la pêche et l’agriculture, tout le monde se connaissait et il y avait beaucoup de solidarité et un esprit communautaire.
Après l’école primaire, je suis allé au Lycée Blaise Diagne à Dakar et par la suite j’ai suivi un cours de fabrication mécanique au Centre de Formation Professionnelle de Thiès.
Juin 1970, c’est le décès de mon père qui coïncide avec la fin de mon cours. À 20 ans, étant l’aîné, je deviens chef de famille, je commence à travailler aux Chemins de Fer jusqu’à mon départ pour le Canada en décembre 1975.
RGSC : Avez-vous voyagé avant d'arriver au Canada?
Le Canada constitue mon premier voyage à l’extérieur du pays.
C’est un pur hasard. En 1973, avec des amis, nous avions trouvé dans une vieille revue qui venait de la France que le Canada, l’Australie et les Etats-Unis étaient à la recherche de travailleurs qualifiés. J’ai photocopié le formulaire et fait ma demande, sans trop y accorder d’importance. Quelles furent ma joie et ma surprise quand j’ai reçu une réponse et c’est à ce moment que les démarches ont commencé et au bout de trois mois, je recevais mon visa d’immigrant. Je prends 3 mois de vacances que j’avais accumulés et je me suis dit je n’ai rien à perdre, je vais aller voir et si je me rends compte que ça ne fonctionne pas pour moi, je vais revenir reprendre mon boulot aux Chemins de Fer. Et cela fait presque trente ans que je vis au Canada.
Pourquoi le Canada? À cause de la langue française et du fait que le Canada a une bonne réputation dans le monde et principalement en Afrique. J’avais aussi entendu parler du Canada dans mes cours de géographie et lors des visites effectuées par le Président du Sénégal de l’époque Léopold Sedar Senghor.
Je débarque à Dorval le 15 décembre 1975, euphorique, le soleil était brillant et le sol couvert de belle neige blanche que je voyais pour la première fois, avec des habits d’été. Il faisait 30C quand je quittais Dakar, j’arrive à Montréal, on nous annonce qu’il fait -15C, premier choc, le deuxième c’est quand j’ai vu le soleil se coucher vers 16 h 30. Le lendemain de mon arrivée, je vais à l’assaut des magasins pour m’équiper en manteaux, bottes, mitaines, etc.…
Je commence à prendre le métro pour visiter les Centres d’emploi, mais il n’y avait presque pas d’offre d’emploi, les agents me disaient c’est à cause des fêtes de Noël, mais qu’après les fêtes ça reprendra. Après quelques jours de solitude, de dépaysement et de découragement, je me dis que j’ai mon billet retour et mon emploi qui m’attend et de toute façon il fait trop froid ici et je n’ai pas envie de chômer surtout avec la famille qui compte sur moi. J’appelle l’agence de voyages pour réserver, on me rappelle dans la journée pour me dire que Montréal New York, il y a de la place, mais New York Dakar, il fallait que j’attende une semaine ou une annulation.
Entre temps, j’appelle mes parents pour leur annoncer mon retour, c’est la panique, tout le monde m’appelle pour m’encourager et me réconforter, l’ambiance des fêtes aidant je recommence à remonter la pente.
Le 6 janvier 1976, je décroche mon premier emploi dans une grande entreprise avec de bonnes conditions de travail, mais aux ressources humaines on me dit c’est un emploi temporaire de 3 mois seulement, je me suis dit : « j’y suis, j’y reste », finalement je travaille encore pour cette entreprise.
Personnellement, je peux dire que ça a été une belle aventure malgré les difficultés rencontrées au début je peux dire que c’est très positif et je ne regrette rien, je m’en suis très bien sorti jusqu'à présent; je sais que ce n’est pas le cas pour tout le monde. J’ai été très chanceux, mais mon cas n’est pas unique il y’a plusieurs autres qui se sont fait une place au soleil, donc il y’a de l’espoir, mais il faut être sérieux dynamique et persévérant.
RGSC : Pourriez-vous nous présenter votre famille?
RGSC : Quel est votre domaine professionnel?
Mon domaine professionnel est la fabrication mécanique, je travaille au service technique. J’ai été impliqué dans l’entreprise ou je travaille comme négociateur syndical. Je travaille aussi comme bénévole dans le milieu communautaire. Parallèlement à ces activités, durant les années 90, j’ai ouvert à Montréal deux restaurants (« Téranga » et « Découvrir le Sénégal ») pour faire connaître le Sénégal et sa gastronomie.
RGSC : Vous êtes le président de Omega Ressources Humaines. Parlez-nous de cette organisation?
ORH est un organisme à but non lucratif, laïc et indépendant dont les objectifs sont, entre autres, la sensibilisation à la diversité culturelle et ethnique, l’intégration économique et sociale des communautés culturelles, le dialogue des cultures et des civilisations et la mobilisation de la Diaspora pour le développement de l’Afrique.
Nous voulons créer un réseau pour aider à rapprocher les gens. Avec le bas taux de natalité au Québec. Montréal sera de plus en plus multiculturel, nous travaillons pour l’ouverture des esprits des uns et des autres, le respect des différences et une cohabitation plus harmonieuse entre les cultures et les religions.
Nous voulons aussi aider les membres de la communauté à trouver de bons emplois bien rémunérés et intégrer la fonction publique fédérale, provinciale et municipale. Nous avons besoin de bénévoles pour atteindre nos objectifs.
Voici notre site Internet : www.omegarh.org
RGSC : Quels sont vos intérêts et passions? Qu'aimez-vous particulièrement?
Je suis un passionné de football (soccer), sport que j’ai beaucoup pratiqué quand j’étais jeune, maintenant le corps ne suit plus. J’aime l’histoire et la lecture de biographies. Internet qui est un outil formidable. La bonne cuisine et les voyages.
RGSC : De quelle façon avez-vous entendu parler du RGSC et comment vous y êtes-vous intéressé?
Avant le RGSC, il y avait l’Association des Sénégalais du Canada dont je suis un des fondateurs avec d’autres sénégalais. Dans les années 80, j’ai été le président et nous avons eu à organiser des semaines culturelles et économiques, nous avons fait venir des artistes et des ministres pour faire la promotion de la culture et des possibilités d’investissement au Sénégal.
En 1993, l’Association, après plus de 13 ans, était en veilleuse. Vu l’importance pour une communauté d’un tel organisme, un groupe de jeunes et quelques doyens dont moi avons prit l’initiative de relancer les activités. De là est né le RGSC. Je félicite les jeunes qui ont pris la relève et qui font un travail extraordinaire.
RGSC : Enrichi de votre expérience personnelle, quels conseils donneriez-vous aux nouveaux arrivants?
Je leur dis que c’est possible d’avoir sa place au soleil, il faut croire en vous, être persévérant, ne pas vous décourager trop vite, tous les débuts sont difficiles, l’essentiel est d’être sérieux et de prendre votre place, si on a un rêve ou une passion d’aller jusqu’au bout, mais surtout d’être professionnel dans ce que l’on fait.
Je demande à l’ensemble de la communauté de s’impliquer dans le regroupement, étant donné que nous sommes de plus en plus nombreux et que l’union fait la force, nous allons pouvoir, selon nos moyens, faire sentir notre présence et contribuer à bâtir ce pays où nous avons choisi de vivre.
RGSC : Vous considérez-vous sénégalais ou canadien?
Quand je suis au Sénégal, on m’appelle le canadien, quand je suis au Canada, on m’appelle le sénégalais. Je dis souvent en boutade : « Je fais partie des sénégalais les plus canadiens et des canadiens les plus sénégalais». Le Sénégal est le pays de mes parents et de mes ancêtres et le Canada, le pays de mes enfants.
Je ne suis pas un spécialiste, mais selon mon expérience, je vais donner une vision personnelle :
Le Sénégal est un pays qui n’a pas de ressources naturelles, mais qui a beaucoup d’atouts importants : Une situation géographique exceptionnelle, un beau climat, la stabilité politique, une belle entente entre les différentes ethnies et confessions religieuses, la qualité des ressources humaines.
Le Sénégal peut devenir un pays émergent, sauf qu’il y a quelques préalables :
- Un changement radical de mentalités, c'est-à-dire plus de civisme, de discipline et de rigueur.
- Une diminution des dépenses de prestige dans les cérémonies familiales et sociales.
- Mettre l’accent sur la formation professionnelle et technique des jeunes.
- Créer les conditions pour que les immigrés aient confiance et investissent dans la création de PME PMI génératrices d’emplois, et donner un pouvoir d’achat à la population, ce qui conduira à augmenter le niveau de vie de la population et créer une demande de biens et de services, faire rouler l’économie et permettre à l’Etat aussi de prélever des taxes et des impôts pour les services publics.
- On prétend qu’il y a plus de 2 millions de sénégalais à l’étranger. Si chaque immigré crée deux emplois, ce sera plus de 4 millions d’emplois, on atteindrait le plein emploi au Sénégal. Mais il faudrait que l’on implique plus les immigrés dans la marche du pays et qu’on leur permette de mettre en pratique l’expérience acquise à l’extérieur.
- Une agriculture diversifiée axée sur l’autosuffisance alimentaire.
Si tout se passe comme prévu, je dois prendre ma retraite de mon emploi actuel. Je ne vais pas pour autant arrêter, au contraire je vais m’impliquer davantage pour l’amélioration des relations économiques, sociales et culturelles entre le Canada et le Sénégal.
Je vais tenter de reprendre la célèbre phrase du Président Kennedy : «Il ne faut pas se demander ce que votre pays peut faire pour vous, mais il faut plutôt se demander ce que vous pouvez faire pour votre pays»
Au Sénégal, je vais m’impliquer pour essayer de faire profiter mon expérience au pays.
À Montréal, nous allons travailler fort pour que Omega atteigne ses objectifs et réalise ses projets et essayer d’attirer des investisseurs canadiens au Sénégal. Je reviens d’un voyage de deux mois au Sénégal, je me suis rendu compte qu’il y a plusieurs secteurs très rentables pour des investisseurs potentiels.
Je tiens à féliciter le Bureau exécutif du RGSC qui fait un excellent boulot, ils doivent être encouragés et appuyés parce que c’est un travail exigeant et très ingrat. Le RGSC est un outil indispensable pour la communauté, il ne faut pas que l’on tombe dans le piège de l’individualisme, la solidarité est une de nos valeurs que l’on se doit de préserver.
RGSC :
Encore un grand merci Papa Diop d’avoir bien voulu participer à cette entrevue et d’avoir accepté de vous livrer ouvertement au profil de nos lecteurs sénégalais et sénégalophiles. Merci de nous avoir permis de vous connaître mieux.
Propos recueillis par Julie "Bintou" Bienvenue webmaster@rgsc.ca
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