Démystifier les mythes
Amadou Gueye NGOM Lundi 28 Sept 2009
Lorsqu’un homme de plume cède à l’invitation d’écrire sur un sujet qui préoccupe sa communauté, il court presque toujours le risque de la connivence qui aliène sa liberté de penser. C‘est ce que j’ai ressenti en lisant le commentaire me priant de parler du problème de l’énergie, des inondations, de la mal gouvernance du Sénégal, ce grand malade au chevet duquel se bousculent charlatans et charognards.
Que dire de nouveau sur les coupures d’électricité, les dégâts de la pluie et leur prise en compte ? Jusqu’ici trois attitudes ont été en compétition: l’appel aux armes, le rappel à Dieu et l’amateurisme. Attitudes exploitées avec plus ou moins de bonheur par l’opposition, les leaders religieux et les pouvoirs publics. Pour chacune de ces entités, tout désastre constitue un fonds de commerce virtuel ou offre l’occasion d’un règlement de comptes.
- « On vous avait prévenu, c’est un gouvernement d’incapables », rugit l’Opposition
- « Nous gérons vos cinquante ans d’échec », retorquent les tenants du nouveau régime
- « Lavons les cœurs », pontifient Doomi Soxna” et Enfants de Marie, sans nous dire avec quel détergent.
De l’autre côté, les gardiens des bois sacrés, réclament des sacrifices… Mais il semble que poulets et cabris ne fassent plus l’affaire. Du moins, si l’on en juge par les rumeurs de sadisme qui caractérisent les meurtres enregistrés quotidiennement.
Finalement, le peuple que tout ce beau monde veut guérir ou dévorer devient mécréant, au sens intuitif du terme, juste par instinct de survie.
De quoi souffre la société sénégalaise ? De deux graves malentendus:
1) l’imposture qui consiste à présenter l’Etat comme un bienfaiteur
2) l’inadéquation entre discours politique et entendement populaire.
Lorsqu’un intellectuel en langue française et aux idées importées dénonce, auprès du peuple, le train de vie de l’Etat, la gestion patrimoniale du pouvoir et ses allures monarchiques, il perd de vue que cela correspond exactement à la perception traditionnelle du pouvoir par les populations : « Buur déy yéwéen », « Nguur deñ koy donn ». Ces deux mots wolofs clés que sont yewen (généreux) et donn (hériter) associés à Buur (roi) dérivé de nguur (royaume) sont les termes en usage pour traduire l’Etat et son chef. Si cet intellectuel, « étranger » chez lui, connaissait mieux ses réalités, il se serait d’abord soucié d’expliquer aux populations ce qu’est une république et ce qui la différencie d’une monarchie.
A l’exception d’un ou deux partis, l’Opposition qui fonctionne également avec les mêmes idées importées n’a pas non plus conscience du décalage entre son discours et l’entendement populaire. Elle exploite les mouvements d’humeurs des populations plutôt que de leur dire, par exemple que la rue publique n’est pas « mbeddu buur », que les deniers publics ne sont pas « alalu buur », que tout appartient au peuple, que l’Etat n’est propriétaire de rien et que les actions inhérentes à ses charges ne sont pas des faveurs dont il devrait attendre un tribut de gratitude sous forme de d’allégeance ou de suffrages.
La presse qui eût pu jouer les vigiles regorge davantage de valets de chambre que de professionnels motivés par l’information critique et l’éveil des consciences. Elle contribue, à dessein ou par maladresse, à la personnalisation du Pouvoir dont les moindres faits et gestes sont relatés avec une emphase publicitaire qui frise l’indécence : « Wade prête son avion à l’Equipe nationale » en lieu et place de « l’Etat met l’avion de commandement à la disposition de… » Idem, lorsque sa femme ou son fils offre des billets de voyage à la Mecque. Autant de formulations linguistiques qu’il convient de réajuster.
Aussi longtemps que nos politiciens de rhétorique et de slogans, les clubs d’intellectuels déphasés ne feront pas comprendre aux populations qu’elles ne doivent rien à l’Etat mais que c’est plutôt ce dernier leur serviteur et obligé, jamais ne s’estomperont les malentendus.
Le diagnostic de nos maux commande également d’avoir le courage de démystifier les mythes, de mettre un terme aux populismes manipulateurs… Cesser de croire à l’inaltérabilité de nos valeurs traditionnelles. Notre peuple n’est ni meilleur ni pire que d’autres. Nous avons des saints mais aussi des salauds, comme dans n’importe quel pays. Nous avons même des anarchistes pour qui « toute révolution commence par l’irrespect: “koo tudd, ñu daggal ko”.
Il est tout aussi malhonnête de faire croire que, par atavisme, les Sénégalais sont pétris de « jom », de « kersa », de tolérance. Ce stéréotypage, plus « carcéral » que galvanisant, empêche les remises en question salutaires et ne sert qu’à manipuler ou endormir une société.
Conformément à notre statut d’anciens Ceddos convertis, on se gargarise bruyamment des héros de l’Epique et des grandes figures religieuses, plutôt que de nous inoculer leurs vertus. Ce qui subsiste de l’héritage ne sont souvent que des velléités monnayables au naïf le plus offrant. Aujourd’hui, on adhère à un parti dont le leader sait se montrer généreux, on s’oppose plus par dépit que par conviction idéologique.
Yamar qui n’obtient pas gain de cause décoche une chanson ; Kakatar qui espère se rincer la dalle avec quelques gouttes du millésime américain se rend compte subitement que Gorgui est « le meilleur président au monde » et qu’il mérite d’être « Président à vie ». Malentendus, mystification, opportunisme ? La navigation entre ces destinations que sont la politique, la religion et les affaires fonctionne à merveille.
Amadou Gueye Ngom
Critique social
PS : la hache qui sectionne définitivement les branches pourries de l’arbre ne sera jamais comparable aux pluies illusoires qui les verdissent temporairement de mensonges.
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