J'ai donc ensuite ce matin une recherche d'articles sur les prisons en général et le texte qui décrit le mieux mes questionnements est celui-ci, qui questionne l'utilité des prisons de la façon dont elles sont structurés aujourd'hui. Voici le lien:
http://www.acontresens.com/contrepoints/societe/38.html
Extraits:
Le perpétuel échec de la prison
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Le perpétuel échec de la prison
Cette institution d’orthopédie du corps social est cependant tout sauf une machine à « guérir » : aujourd’hui en France – ce chiffre est celui, officiel, de l’administration pénitentiaire – un-e détenu-e se suicide tous les trois jours (ce taux est parmi les plus élevés du monde, et il nous laisse estimer le nombre des tentatives qui n’aboutissent pas). Les pathologies psychiques résultant de la détention sont extrêmement nombreuses et personne n’ose plus affirmer que la prison aide d’une part à « aller mieux », d’autre part à se « réhabiliter ». « Certains s'en tirent ? Oui, comme d'un cancer du foie. On est tenté de croire alors au miracle », écrit Catherine Baker dans Pourquoi faudrait-il punir ? (2004). Les témoignages de détenu-e-s laissent également peu d’illusions : « On vit dans un manque perpétuel. Si l’enfer existe, il doit ressembler à cela » . Personne ne peut plus même feindre de croire que les passages à tabac, les privations, le froid, la solitude, l’absence d’intimité, aident à une quelconque « resocialisation » . Pas de miracle : personne ne « s’améliore » à trois dans une cellule de 9m².
Et que penser de la « resocialisation » de personnes qui ne sont pas encore considérées comme « désocialisées », c’est-à-dire qui ne sont pas encore condamnées ? Elles représentent 35% de la population carcérale en France: 35% des détenu-e-s sont littéralement enfermées pour RIEN, en attente de leur jugement. Ces accusé-e-s sont ensuite la plupart du temps condamné-e-s : libérer ces personnes serait apparemment un aveu trop criant de l’absurdité de la situation. Le jugement constitue a posteriori une légitimation du temps de détention déjà effectué.
On dit aussi que la prison a un effet curatif : les anciens détenus seraient « réintégrés » à la société, « éduqués » et à nouveau « normaux », leur « pathologie sociale » serait définitivement soignée. À l’opposé de cette vision des choses, nous devons constater que les ex détenus reviennent fréquemment à l’intérieur des prisons, et pas en qualité de visiteurs. Un surveillant de prison : «La réinsertion donne bonne conscience à certains. Pas à des gens comme moi, mais aux politiques. En maison d’arrêt c’est pareil. Combien j’en ai vu me dire, “chef, vous inquiétez pas, je reviendrai jamais !” et paf ! six mois après… ». Il est assez difficile d’estimer le taux de récidive (principalement en raison de la difficulté à établir une définition commune : parle-t-on de récidive uniquement lorsque le même délit ou crime est à nouveau commis ? Prend-on en compte les peines non privatives de liberté ?). Un chiffre peut cependant nous aider à évaluer la situation : 46% des ex détenu-e-s sont à nouveau condamné-e-s (pour un autre motif) et réincarcéré-e-s dans les cinq ans suivant leur libération. Ce constat empirique donne tout son sens à cette phrase de M. Foucault : « On dit que la prison fabrique des délinquants ; c’est vrai qu’elle reconduit presque fatalement devant les tribunaux ceux qui lui ont été confiés. » [...]
L’utilité économique de la prison
[...] La deuxième hypothèse de Loïc Wacquant me paraît beaucoup plus pertinente : la prison servirait à ajuster la population à une économie néo-libérale. Le but serait de remettre au travail les personnes qui rechignent à accepter une activité rémunérée dans des conditions dégradées et dégradantes. Et dans les faits « les anciens détenus ne peuvent guère prétendre qu’aux emplois dégradés en raison de leur statut judiciaire infamant ». On sait aussi très bien que pour bénéficier d’une libération conditionnelle, les détenus ont tout intérêt à présenter un contrat d’embauche (ou une promesse d’embauche). Illes sont ensuite placé-e-s sous le contrôle d’un juge d’application des peines, pour qui le facteur emploi est un critère décisif. Dans le système américain les détenus et les condamnés sont en général exclus du système de sécurité sociale (sur le principe : un manquement à la loi conduit à une suspension des droits sociaux. Les droits ne vont pas de soi, et doivent être mérités, ils ne sont que la contrepartie de devoirs). Pour toutes ces raisons il apparaît cohérent de voir la prison comme une institution-soutien à une politique d’ajustement de la population à la précarité.[...]
Utilité politique de la prison : diviser pour mieux régner
[...] La spécification des illégalismes suppose l’idée que le non respect de la loi serait réservé à une catégorie particulière. Une ligne hermétique est ainsi produite autour de la délinquance, ce milieu sombre et menaçant auquel il serait impossible de s’identifier. Les illégalismes, en portant atteinte à un système de lois bourgeoises (c’est-à-dire des lois qui favorisent la classe bourgeoise : le droit de propriété en est l’expression la plus éclatante) portent en eux (même si c’est rarement de façon intentionnelle) un potentiel politique de subversion. Selon Michel Foucault, après la Révolution Française (et après 1848 et 1870) une des grandes peurs de la bourgeoisie était l’émeute populaire. La prison serait alors devenue un moyen de briser les liens entre prolétariat et illégalisme. La prison mettrait de côté les individus potentiellement dangereux, afin qu’ils ne puissent servir de fers de lance pour des luttes sociales révolutionnaires. Il s’agirait de dresser une barrière étanche entre le prolétariat et ce que Michel Foucault nomme « la plèbe non prolétarisée » : « des institutions comme la police, la justice, le système pénal sont l’un des moyens qui sont utilisés pour approfondir sans cesse cette coupure dont le capitalisme a besoin ».
Cette séparation est partie prenante d’un processus de moralisation de la population : la propriété est inculquée comme valeur et le vol est en conséquence érigé en crime (la sympathie avec le voleur de pain doit être réduite à néant). C’est dans ce même mouvement qu’émerge le pacifisme à destination des classes populaires : l’idée que la violence est un monopole de l’État et qu’elle est réservée aux institutions responsables de l’État : « Quand on vous apprend à ne pas aimer la violence, à être pour la paix, à ne pas vouloir la vengeance, à préférer la justice à la lutte, on vous apprend quoi ? On vous apprend à préférer à la lutte sociale la justice bourgeoise ».
La prison produirait donc un discours implicite en direction du prolétariat : voulez-vous vraiment être apparentés à ce milieu répugnant de voleurs, de barbares sans morale, qui sont fainéants au travail pendant que vous vous tuez à la tâche ? Ces catégories et ces divisions artificielles produisent des inimitiés à l’intérieur d’une population qui souffre objectivement des mêmes conditions d’exploitation. Et l’invention de la catégorie de la délinquance joue également un rôle central dans l’acceptabilité de la surveillance et du contrôle. L’existence d’une population bouc émissaire permet et légitime un contrôle policier étendu : « Sans délinquance, pas de police. Qu’est-ce qui rend la présence policière, le contrôle policier tolérable pour la population, sinon la crainte du délinquant ? » [...]
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