jeudi 7 mai 2009

Le Wolofranglais

Lors de mon dernier séjour aux États-Unis, j'étais amusée par la manière de parler des sénégalais de là-bas. Comme en général leur langue maternelle est le wolof, qu'ils ont fait leurs études en français (la langue officielle du pays) et qu'ils vivent actuellement aux États-Unis, ils peuvent vous mettre dans une même phrase des mots des trois langues ! J'en parlais à un ami et j'avais appelé cela le "wofranglais", qui est typique de la diaspora sénégalaise vivant aux États-Unis. Puis j'ai été agréablement surprise de revoir un mot presque similaire utilisé dans la chronique de Amadou Guèye Ngom cette semaine pour décrire le même phénomène. Lui parle de "wolofranglais" !

Dans mes cours de français au lycée au Sénégal, il y avait un thème majeur qui revenait souvent dans la littérature africaine qu'on étudiait: quel avenir pour nos sociétés post-coloniales qui doivent juguler "entre tradition et modernité" ? À cette problématique s'est ajouté celle plus récente de l'immigration. Enfin, je vous laisse lire cette chronique, vous verrez vous-mêmes...

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Revoir ces critères…

Mon intention est bien d’aller d’une idée à l’autre sans lien apparent. Inutile d’ergoter là-dessus. « Chaque vieux matou broie sa tête de souris, comme il lui plaît. » dit-on chez nous. L’important est d’attraper le rongeur : « jàppal ! » Le comble serait de se laisser prendre la queue dans le piège destiné à la proiekaña gi rëccati nala... »

Ce n’est point hasard si je me sens des affinités électives et instinctives avec Souleymane Faye. Nous sommes deux petits laids, de teint noir. On est rétif au harnais et méfiant de l’Autorité qui tape d’abord et réfléchit ensuite. Nous avons le même âge et la même répulsion viscérale pour les larbins.

Apprends ! « Sëriñ bi baaxna xi kër gi- un précepteur maison, c’est utile. » Que les cancres se ressaisissent ! Ne serait-ce que pour savoir nommer, dans leurs langues nationales, les doigts de la main ou simplement les cinq sens. Je veux dire la vue, le toucher, l’ouïe, l’odorat, le goût. Oui, vous avez bien lu…

Une nation paye cher l’obstination à ses erreurs de jugement et de décision, avertit encore le chanteur-philosophe : « Yenn dëggër bopp yi jaay sa askan la… »

Au village on ne connaît que deux « doktoors » : l’un prend soin des humains, l’autre « wetarneer », des animaux. Ils exercent, chacun dans son domaine, sans porter ombrage aux « borom xam xam-détenteurs du savoir ancestral. C’est en ville que l’on trouve des docteurs en droit, linguistique, communication, etc. Les titulaires de ce titre prestigieux enseignent à l’université ou occupent le sommet de la hiérarchie professionnelle pour avoir étudié comme des forcenés pendant que d’autres buvaient du thé et se déboîtaient les hanches dans les Coladera et Foural-dansant. Ces « docteurs », éminences parfois prématurément grises sous le poids de leurs connaissances méritent leurs postes dans les cabinets ministériels. Mais, de grâce, n’en faisons pas des conseillers culturels. Ils ne parleront guère le même langage que les populations avec lesquelles ils sont censés conjuguer le Passé. D’où la nécessité de revoir la gestion des ressources humaines de notre pays. Que ce soit dans l’administration publique ou dans le secteur privé, nous avons adopté des systèmes de fonctionnement qui, parfois, n’ont rien à voir avec nos exigences de développement. La suggestion ne consisterait point à tordre les grilles de la fonction publique en abandonnant ces critères objectifs de recrutement que sont les diplômes. Disons qu’il ne serait pas saugrenu d’envisager une différente échelle de valeurs basée sur les connaissances orales. « -Xam sooga jëf mo gëna wóor-savoir avant d’entreprendre », redit Souleymane.

L’indépendance culturelle actionne tous les leviers d’émancipation d’un pays. A partir de cette logique, il est concevable, que dans un ministère chargé de la culture et des langues nationales, des dépositaires de valeurs traditionnelles authentiques comme Fallou Cissé de Radio Dunya soient chargés de mission. Ben Bass, son directeur, considère que le savoir-faire est plus sûr que le diplôme mën mën mo gëna wóor lijasa ». Le postulat fait recette dans cette radio station qui devrait inspirer le cabinet du nouveau ministre de la culture où les farouches secrétaires du prédécesseur traitaient les acteurs culturels traditionnels avec un injustifiable mépris.

Revenons à Jules Faye…

« Bo amee te xamulo

Ku joge ca all bi nëw jëriño

(De ton héritage abandonné

Se nourrit l’étranger)

Mais pourquoi donc me contraindrais-je à ces insipides traductions ? Et pour qui ? C’est comme si, inconsciemment, je me sentais redevable à ceux là dont j’emprunte la langue. N’est-ce point un signe d’inféodation intellectuelle ? Pourquoi les Occidentaux ne déploieraient-ils pas les mêmes efforts pour apprendre les langues de mon pays ? Des raisons commerciales, touristiques voire libidineuses devraient les y pousser.

Jurons de ne plus traduire ! Enfin… Teey lu leenBuguñu ngeen gaañu. »

Pour l’instant, « La Grève des Báttus » serait suicidaire. Donnons leur un ultimatum…Jusqu’à la nouvelle génération qui ne voudra plus parler « xamnga-youno-cetadir », la langue des Wolofranglais, quoi…

Aux nouveaux Pages du Royaume, bienvenue à la Cour mais teey lu leen…PrudenceGorgui kumu dogal tubéy, ngémb laa nga lay xaar-

A l’impossible traduction, nul n’est tenu. Retenez simplement que le cache-sexe de l’infortune remplace très vite le prêt-à-porter qu’offre Gorgui.

Interprète qui peut !

Ah ! J’oubliais…Selon des rumeurs généralement bien fondées, le Premier des Pages, en passation de service, aurait pris un vulgaire quidam pour Birago. Senghor ne lui aurait pas donné le temps d’étrenner son fauteuil « primatorial. »

Bien loin le temps où l’on testait les gardiens du Temple sur leurs humanités.


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Le premier commentaire de la chronique:


Par Fan de la chronique


J'en suis à ma première lecture, donc j'ai pas encore tout compris, mais j'y travaille. J'écris avant d'avoir terminé car je suis restée bloquée quand j'ai essayé de nommer mes cinq doigts en wolof, je n'ai pas su en nommer un seul quand aux 5 sens... Du coup quand j'ai vu que vous alliez peut être arrêter de traduire j'étais juste paniquée!

En général,je comprends le sens, la traduction me permet souvent de confirmer que j'ai bien compris.

C'est regrettable de ne pas maîtriser notre langue maternelle, mais pour la plus part, nous sommes des victimes de l'éducation et du cadre dans lequel nos parents nous ont fait évoluer. Maintenant qu'on est adulte, certains d'entre nous vivent à l'étranger donc difficile de s'améliorer. Je parle wolof à mes enfants, mais malheureusement, ils se retrouveront avec les mêmes limites que moi... Là encore je réfléchis encore à la solution.

Merci!

13 commentaires:

Rey Feliz a dit...

Je ne sais pas si on peut se dire "victime" de l'éducation que nos parents nous ont donné (cf. le commentaire). Ce sont des conditions qui sont là et avec lesquelles il faut composer.

Au début de ce message, en tant qu'africain non-sénégalais, j'ai eu du mal à contenir ma frustration. Tous ces mots Wolof dont je ne comprends pas le sens ralentissaient ma lecture et ma compréhension.

Ensuite, j'ai souri: ces mêmes mots donnaient une telle couleur au texte, qu'ils m'ont rappelé mon enfance, mes premières lectures et les auteurs cités. Enfin, comble et paradoxe de mes frustrations, l'auteur a évoqué le besoin de (ne pas) "traduire" nos textes et nos langues dans la langue de l'ex-colon.

Sourires.

Ces traductions rendent les idées accessibles au plus grand nombre, et c'est là l'un des avantages d'une certaine "uniformisation". Je n'aurais rien compris de ces mots, s'ils n'étaient expliqués ou traduits. Il m'aurait fallu parler Wolof, Bariba, Dindi, Goun, Yoruba, Bamiliké, Swahili, Malagasy... il y en a tant, que je n'aurai jamais pu partager des idées avec mes confrères africains.

Oui, nous avons perdu beaucoup à cause de la colonisation. Et nos traditions gagneraient certainement à être consciemment revisitées et entretenues. Mais n'oublions pas le bienfait de partager une langue (et une culture) commune(s). Et de le célébrer comme une richesse en soi.

Ndack a dit...

Je comprend ton sentiment Toun, mais la communication entre peuples appartenant au même royaume, au même pays, voire au même continent, se fait naturellement à travers les âges. Chez moi au Sénégal, il y a plus de 10 langues nationales différentes mais pratiquement tout le monde parle Wolof. Pourquoi ? Parce que les peuples du Baol par exemple (ancienne région du Sénégal) dont la langue maternelle est le Wolof sont les principaux commerçants du pays et pour des raisons économiques, pour échanger les biens, les peuples alentours ont appris cette langue qui est finalement une langue commerciale... comme l'anglais !

En effet, en Europe, de plus en plus de gens parlent anglais, c'est depuis quelques décennies une langue obligatoire dans les écoles secondaires. Une fois que je séjournais aux Pays-Bas, j'étais étonnée de la quantité de chaines anglophones disponibles à la télé au niveau du service public. Et dans n'importe quel magasin, dans n'importe quelle entreprise, il est possible de ne parler qu'anglais. Le gouvernement lui-même a fait la promotion de cette langue car le Néerlandais n'est parlé nulle part ailleurs que chez eux. Par contre, quand on immigre en Hollande, aux Pays-Bas, impossible d'avoir la citoyenneté sans avoir auparavant passé et réussi un examen en Néerlandais. Donc ils apprennent tous une langue seconde pour des raisons d'ordre économique et ils protègent leur langue nationale pour la préservation de leur culture.

Je veux dire, on aurait pas eu besoin ni des Français, ni des Anglais pour causer toi et moi. On aurait échanger en Anglais comme un Chinois et un Japonais le font actuellement, sans avoir été colonisé et tout en sachant nommer les cinq doigts de la main en Mandarin et/ou en Japonais ! Aujourd'hui, je parle bien wolof, Français, Anglais, j'ai quelques brides d'Espagnol et je prie en Arabe. Cela veut dire que j'aurai bien pu apprendre à la place de ces langues 3 ou 4 langues Africaines répandues comme le Wolof pour chez moi, et ensuite le Bambara, le Yoruba et le Swahili. Et de ton côté, tu aurais fait de même en remplaçant le Wolof par ta langue maternelle. Et on aurait pu bloguer en Yoruba par exemple (ou en anglais). Puis, cela aurait été bien plus utile pour l'intégration africaine !

GANGOUEUS a dit...

Texte exquis. Qui porte sa contradiction dans la limite que le non ouolophone ne saisit pas certaines subtilités non traduites.

Problème que j'ai eu à la lecture d'un roman de P. Chamoiseau, truffé d'expression créole. Naturellement, j'étais tenté de me dire que je me devais de me renseigner autour de moi, des antillais il y en a pas mal. Mais vu le nombre d'expressions, j'ai eu l'impression que cet auteur niait ma qualité de lecteur. Bon sang, pourquoi ne pas écrire son texte en créole et le faire traduire?

Au Congo, on a le phénomène du Frangala qui prend de l'ampleur. Le contexte dans lequel j'ai grandi ne m'a permis d'avoir accès qu'au lingala. Etant métis (ethniquement parlant) mes parents ne pouvaient m'apprendre ni l'une ni l'autre de leur langue maternelle. C'aurait compliqué en tout cas, ils ont fait au plus simple. La rue congolaise m'a appris une des langues nationales, le lingala.

Etant marié à une femme qui n'est pas de mon ethnie, je suis confronté à la même équation que mes parents. Avec la difficulté supplémentaire que ma femme n'est pas forcément à l'aise avec le lingala... Le français risque d'être le seul dénomminateur commun. Yako!

Je réfléchis à la possibilité de traduire les articles de mon blog en lingala (posture plus idéologique que pragmatique), on verra si j'irai au bout de ce projet...

Ndack a dit...

Cher Gangoueus, en effet, c'est une situation quelque peu frustrante ! Mr Ngom traduit lorsqu'il cite les autres (Souleymane Faye ou Ben Bass ont eu leurs commentaires traduits et expliqués), mais lorsqu'il parle lui-même wolof, il ne traduit pas... Mais à propos du wolofranglais, il faut que je vous décortique l'expression: « xamnga-youno-cetadir ». En fait les sénégalais, lorsqu'ils parlent, aiment bien dire l'équivalent français de "tu vois" (raccourci de "tu vois ce que je veux dire ?"). "xamnga" signifie littéralement "tu sais", youno c'est "you know" avec l'accent sénégalais et "cetadir" ben... c'est "c'est-à-dire" ! Et le wolofranglais utilise pratiquement les trois ! J'ai un ami qui à Dakar aimait prendre Dieu à témoin quand il racontait quelque chose. Maintenant qu'il est aux États-Unis, il passe son temps à dire: "I swear to God" même quand il parle wolof... j'ai tellement ri en l'écoutant !

Il est vrai que pour notre génération où les mariages sont plus métissés que jamais, les langues coloniales risquent de souvent être le dénominateur commun. Mais tant que chaque membre du couple arrive de temps en temps à vivre sa langue hors du couple, ce n'est pas bien grave.

Par contre, c'est pour nos enfants qu'un problème important va se poser, surtout pour les enfants de la diaspora. Sur ce point, je propose deux choses. Premièrement, que certains d'entre nous qui sont immigrants en Occident sacrifient leur samedi matin pour donner des cours de wolof, yoruba, lingala... dans des écoles de langues pour enfants (je rêve d'avoir le temps de faire ça), comme je le vois faire ici à Montréal par les communautés européennes (grecque, portugaise, italienne...), vu que nous sommes en Amérique du Nord et que l'anglais est le dénominateur commun. Deuxièmement, il faudrait qu'ils aillent le plus régulièrement possible au bled comme on dit, pour profiter de la langue de la rue.

Pour le blog en lingala... projet intéressant, on attend de voir ça !

GANGOUEUS a dit...

Hello Ndack,

Je reflechis a la pertinence d'un blog en lingala sachant qu'il s'agirait d'une traduction de mon blog litteraire... C'est a voir.

Ta solution est pertinente pour les nations africaines qui une langue nationale comme les Congo avec le lingala, le Senegal avec le ouolof ou encore Madagascar avec son merina.

Mais imagine un couple ivoirien dont la femme serait malinke et le mari baoule. Il n'y a pas de langue nationale qui pourrait etre enseigne aux enfants de ce couple mixte. La solution d'envoyer le mome en vacances a Abidjan ne resolvera pas le probleme vu que c'est le francais ou le nouchi dans la rue de cette capitale.

Or le metissage interethnique est une donnee dont tu dois tenir compte dans ton analyse. Seuls les couples homogenes sur ce plan pourront s'ils le desirent transmettre leur langue maternelle a leur progeniture...

Ndack a dit...

Salut Gangoueus !

Enfant de mère malinké et de père baoulé... humm... Ben c'est simple: il faut en choisir un entre les deux, si ce n'est pas possible de lui apprendre les deux. Et en général le choix se fait naturellement.

En effet, dans ce genre de situation où les différences doivent cohabiter, les sociétés humaines ont toujours trouvé une solution: la mère met l'enfant au monde, ce dernier est accroché à elle pendant les premiers mois voire les premières années de sa vie, et donc pour qu'il y ait un certain équilibre, le père a le devoir d'apporter les vivres dans le foyer et dans la plupart des cultures l'enfant porte son nom de famille en son honneur (un choix qui a été fait alors qu'il y avait deux noms de famille disponibles).

Dans le cadre du langage, qui passe le plus de temps avec l'enfant qui apprend à parler ? En général des femmes: la mère, la grand-mère, la tante, etc... D'où le terme langue "maternelle". Donc l'enfant parlera malinké, ou au moins le comprendra si sa mère (ou sa tante maternelle ou sa grand-mère maternelle) lui parle souvent dans cette langue. Si c'est son père (ou sa tante paternelle ou sa grand-mère paternelle) qui passe le plus de temps avec lui, ben il parlera baoulé. Le nouchi d'Abidjan peut s'y ajouter et pour le malinké pur par exemple, quelques semaines au village ne font pas de mal. Nous avons tous de la famille au village. Je pense vraiment que si deux parents veulent que leur enfant parle ou au moins comprenne ne serait-ce juste qu'une langue africaine (malinke ou baoule), à mon avis ce n'est pas mission impossible. La difficulté pour la diaspora en particulier réside dans le fait de se séparer régulièrement de son enfant (si on ne peut pas prendre des congés de plusieurs mois) et de laisser son enfant seul avec d'autres membres de la famille en vacances dans une autre ville (autre pays) ou au village pour qu'il intègre sa culture. Si on se dit que l'enfant n'est pas juste à nous, qu'il appartient aussi à toute une large famille parfois transatlantique, à toute une communauté, ça aide. Mais ça reste peut-être plus facile à dire qu'à faire.

En tout cas, du courage aux familles de toutes les mixités ! Qu'est-ce que vous voulez, "Love has no boundaries"...

Rey Feliz a dit...

Ndack,
Ditto pour les langues commerciales. Le Yoruba et le Swahili ont bien démontré ce point dans la corne de l'Afrique et dans l'est. On se serait bien passé de l'imposition de langues européennes comme SEULS vecteurs de communication entre peuples africains. Mais, partons de la situation actuelle: "Et maintenant, que fait-on?"

Pour nous "duraliens", "autochtones d'ici et de là-bas", "membres de la diaspora", le défi, oui, est de passer nos traditions à nos enfants. Et le vecteur principal est la langue.

Merci donc de toucher à un des plus grands défi de la diaspora dans ta conclusion: se sentir africain et promouvoir ce qu'il y a du Continent Noir en nous, y compris le fait "que l'enfant n'est pas juste à nous, qu'il appartient aussi à toute une large famille parfois transatlantique, à toute une communauté." C'est certainement une des valeurs fondamentales de nos communautés, une dans laquelle nous avons plus ou moins tous baigné.

Cependant, pourrons-nous aller au bout des exigences de nos désirs pour nos enfants (parler une de nos langues) et faire ce que réclament ces exigences (assumer que ces derniers appartiennent à une "communauté translatantique")? Envoyer son enfant au bled pendant quelques mois? J'ai vu la terreur dans le regard d'un ami de la diaspora quand j'ai évoqué l'idée d'envoyer nos mômes en Afrique pour y passer quelques mois sans nous.

Protecteur, il portait son enfant de 8 mois dans les bras et ne semblait vraiment, mais vraiment pas convaincu!

GANGOUEUS a dit...

Chere Ndack,

Il est rare que tu fasses preuve d'un manque de sagesse, mais la je te prends en flagrant delit.

Tu parles de ce choix entre la langue a apprendre a l'enfant avec une certaine banalite. Or ce choix necessite d'abord un consensus entre les parents. J'ai pris expressement le choix du malinke et du baoule car, tout oppose ses deux ethnies : la religion, le systeme social, la culture. Souvent pour que ce genre de couples durent, il ne faut pas revendiquer trop violemment sa culture sinon ca part en vrille. Imagine dans ce cadre le choix d'une langue a choisir ... Supposons que l'homme puisse imposer une volonte. Techniquement, la femme qui est proche de son enfant mais ne maitrise pas la langue maternelle (rires) de son mari est dans l'impossibilite de concretiser sa volonte. De plus, si naturellement elle s'exprime dans sa langue maternelle, elle desobeit carrement a son mari. Je caricature mais il y a eu des divorces pour moins que ca et des guerres pour tres peu.

Pour pallier a la solution, tu choisis de deleguer a une famille au village. Certes, je crois a l'idee de la grande famille, mais je crois encore plus a la responsabilite directe des geniteurs. Je vais surement te choquer, mais au nom du principe que tu evoques des jeunes africaines vivant en France, se font exciser. En fait, tout en te provoquant un peu, je veux te faire comprendre que l'equation beaucoup plus d'inconnus qu'il n'y parait pour les couples mixtes.

Ndack a dit...

Cher Toun,

En effet, je comprend le réflexe de ton ami avec son bébé de six mois. Mais je dis ça parce que j'aime bien discuter avec des africains qui ont immigré en Occident dans les années soixante et soixante-dix. Ils ont aujourd'hui pour la plupart des enfants adolescents ou dans la vingtaine et il y en a qui m'ont dit que si c'était à refaire, ils auraient envoyé leurs enfants en Afrique au moins aux deux ans pour qu'ils puissent parler, comprendre, intégrer encore plus la culture de leurs parents, notamment à travers la langue. C'est d'autant plus important si l'enfant en question n'a pas un sentiment d'appartenance totale avec l'Occident pour plusieurs raisons dont la discrimination raciale et cherche à combler un vide identitaire et culturelle...

Ndack a dit...

Cher Gangoueus,

Allez lâche-toi, je prend bien la provoc' mais fait gaffe aux retours de balles !

Ce n'est pas moi qui fait preuve de manque de sagesse, c'est ton couple imaginaire qui en manque. Quand on épouse quelqu'un par amour (parce que je doute qu'entre deux familles qui gèrent un contentieux ethniques profonds qu'il y ait des mariages arrangés), donc quand on épouse quelqu'un par amour, quand on est baoulé et qu'on choisit que la mère de ses enfants sera malinké avec tout ce qu'il y a comme femmes baoulé autour de soi, on ne devrait normalement pas ensuite avoir peur que son enfant parle malinké. Si cela pose vraiment un problème au mari, je ne vois pas pourquoi l'enfant n'apprendrait pas le baoulé avec sa tante paternelle ou sa grand-mère paternelle comme je l'ai suggéré. Et si la mère désobéit à son mari et parle malinké à son enfant et cela finit en divorce, je crois qu'on n'est plus entrain de parler de langue et d'enfant, c'est bien plus profond que cela.

S'ils veulent vraiment construire quelque chose ensemble et cela ne leur dérange pas de ne pas trop mettre l'emphase sur leurs différences culturelles, ils peuvent adopter une culture mixte moderne, plus occidental. Il y a même des couples qui s'exilent, qui s'intègrent complètement dans leur nouveau pays d'adoption (autre pays africain, occident,...) et qui décident de réécrire à leur façon une nouvelle page identitaire et culturelle à partir de leur branche à eux dans l'arbre généalogique. C'est le principe du pionnier, que l'on retrouve si facilement ici en Amérique du Nord.

Par contre, s'ils veulent vivre chacun suivant leurs traditions spécifiques et personne ne veut faire de concessions, c'est évident que cela finira par un divorce, pour n'importe quel couple mixte. C'est une équation très simple à mes yeux.

La vie c'est un jeu d'équilibre où on doit toujours balancer entre trop et pas assez, et sur ce long chemin on fait des choix dont les conséquences s'étalent sur des années quand on parle de mariage et pour le reste de la vie quand on parle d'enfant. C'est tellement vrai que dans l'histoire des sociétés humaines, il est souvent arrivé (et il arrive encore) que l'on se marie au sein de la même famille élargie (les cousins sont faits pour les cousines dit-on !). Donc quand on rentre dans un mariage mixte, on sait d'avance qu'on entre dans un mode différent du mode traditionnel, et qu'il va falloir faire des choix encore plus difficiles et radicaux qu'habituellement.

Tu as l'impression que je banalise le problème mais c'est parce que le choix est difficile mais le problème est simple en soi: l'enfant parlera seulement français (et anglais peut-être) ou parlera en plus une langue africaine (baoulé ou malinké ou les deux). Et le problème est tellement simple qu'à force de tergiverser, les années vont passer, l'enfant va grandir avec le français et l'anglais... et le problème ne se posera plus, tout simplement. C'est un problème très éphémère.

Par contre d'autres difficultés liées au questionnement identitaire vont se poser de manière plus forte. En tout cas, c'est mon avis ! Et c'est là qu'on en vient à une jeune fille qui va se faire exciser, une autre va porter le voile tout d'un coup à 14 ans, alors que leurs mères avaient immigré pour tourner le dos à l'excision ou au port du voile de force (je précise de force car si là d'où elle vient on le portait que si on le décide soi-même en tant que femme, il y aura pas de problème - c'est le cas au Sénégal).

Cher Gangoueus, la vie c'est très simple, ce sont nous les êtres humains qui somment compliqués ! Et surtout, nous avons du mal à assumer les conséquences de nos choix...

À suivre !

Ndack a dit...

Parenthèse: Lectures intéressantes sur le cas de la langue Soninké en France, qui m'a toujours fasciné car étant une langue minoritaire au Mali (vient seulement après la Bambara qui est parlé pratiquement partout et le Peulh) et en Afrique de l'Ouest en général. Le Soninké est la langue dominante dans la communauté malienne en France.

Voir dans "Aperçu" à partir de la page 123 de ce livre que j'ai pu retrouver sur Google:
http://books.google.ca/books?id=B0FOjxg_bVcC&hl=fr

Et Forum intéressant de jeunes, fils et filles d'immigrés africains de France sur leur maîtrise des langues de leurs parents:
http://www.soninkara.org/forum-soninkara/parlons-soninke-f4/les-soninko-de-france-ont-il-honte-de-parler-leur-langue-soninke-t91-40.html

GANGOUEUS a dit...

Chere Ndack,

La vie des humains est loin d'etre simple. Bien au contraire, elle necessite un sens d'adaptation face a de nouvelles problematiques. Tout cela est complexe. Le probleme est simple, tu le reconnais, mais ses solutions complexes car elles imposent des choix difficiles. Tu proposes meme des alternatives qui s'eloignent de ta prise de position au niveau de la transmission de la langue. L'idee de recreer une nouvelle identite pour ceux qui sont sur un territoire neutre. Il n'y a donc rien de simple.

Si cette question de langue peut s'averer delicate dans les couples mixtes, c'est qu'au fond, elle interroge notre regard sur la culture de l'autre, la construction de sa vision, son identite. Trop de couples mixtes se sont casses la tete en ignorant ou ne maitrisant pas ces donnees. La politique de l'autruche permet a certains d'axer leur priorite sur une education qui permet d'affronter le monde occidental, enfin de s'y integrer. Ceux des couples qui appartiennent a une meme entite culturelle ont une opportunite plus naturelle de transmettre quelque chose de significatif sur le plan linguistique a leur progeniture sans qu'il n'y ait une quelconque delegation d'autorite.

Cette question me semble essentielle, et dans des pays africains issus du trace de Berlin 1885, la question determinante du metissage, du brassage ethnique necessaire l'emergence de veritables etats-nations pose une autre question des langues africaines a sauvegarder. Les langues ethniques affermissent les dissensions culturelles alors que les langues vernaculaires (ouolof, swahili, lingala, dioula, etc.) assurent un rapprochement entre les differents peuples d'un meme pays.

L'avenir des nations africaines est dans la mixite ethnique si nous ne voulons fournir constamment les armes a ceux qui manipulent l'Afrique de l'exterieur.

Je concois que pour toi qui evolue dans un pays ou le communautarisme est la norme, tu puisses t'arracher les cheveux ;o]

Si il est une langue africaine que mes enfants apprendront ce sera une langue vernaculaire. Sus aux langues maternelles (ethniques).

Je simplifie ainsi mon equation.

@+

Ndack a dit...

Cher Gangoueus,

Si tu remarques, dans mon analyse je fais la différence entre la compréhension d'un problème, la difficulté d'en trouver la ou les solutions et la mise en application. Ce que je dis c'est que dans notre débat sur la transmission des langues africaines aux enfants d'un couple mixte:

- La compréhension du problème est simple: Est-ce que je veux que mais enfants parlent seulement des langues occidentales ou au moins une langue africaine.

- les solutions aussi: 1) je leur parle ma langue, 2) mon conjoint leur parle sa langue, 3) ils apprennent une des deux langues ou les deux auprès de membres de la famille élargie ou dans une école communautaire où cette langue est dispensée. Une autre variante pourrait être celle que tu proposes, à savoir d'enseigner à l'enfant une langue vernaculaire, ce qui ne me dérange pas du tout. Il y aura au moins des régions en Afrique où l'enfant parlera la langue du coin avec les gens, même si ce n'est pas une des langues de ses parents (qui sont des langues minoritaires). Tout plus est un enrichissement. (Garder juste le français par exemple par peur d'interroger la culture de l'autre, qui est aussi la culture de son enfant - qui n'a rien demandé le pauvre - c'est là où je ne suis pas d'accord).

- Ensuite, tu m'as parlé du cas du couple baoulé/malinké qui peut ne pas avoir un consensus. Et c'est là que la situation devient complexe. Je maintiens que la vie pour moi n'est pas compliquée par essence. Au départ elle est simple. Puis, selon les gens, elle le reste ou elle devient compliquée (surtout quand on veut le beurre (la mixité) et l'argent du beurre (l'autorité sur tout)). C'est pour cela que je fais la différence entre la vie et ce que les humains en font. Il y a certes des couples mixtes qui ont ignorés toutes ces données et ils en ont eu des maux têtes. Seulement une affaire aussi importante que se marier et avoir des enfants, si on en ignore les tenants et les aboutissants, ben que veux-tu ? Mais il y en a aussi pleins d'autres couples mixtes qui ont choisi de faire simple et cela s'est réglé bien vite. J'en connais où l'homme a dit "mes enfants parleront la langue de leur mère" et puis c'était réglé. Comme il y a où comme toi qui ont dit que l'enfant parlera une langue africaine vernaculaire et là aussi c'est réglé. Et il y a aussi des jeunes couples mixtes qui étaient bien jusqu'au moment où il a été question de mariage et là l'un des deux, ou les deux, se sont dit qu'ils ne voulaient pas de toutes ces questions identitaires et chacun est allé chercher quelqu'un de sa communauté, et encore une fois, la question est réglée.

Enfin, si j'ai parlé de créer une nouvelle identité sur un territoire neutre, c'est parce que tu m'as parlé de divorce (cas où la situation n'est pas réglée) et c'était pour dire que c'est une autre option aussi, une autre solution au problème que certains ont choisi parce qu'à la base ils ne tenaient pas à vivre selon leurs traditions d'origine. Mais je n'y adhère pas du tout, ma prise de position n'a pas changé: un couple mixte africain doit tout faire pour essayer que son enfant parle une langue africaine (la leur ou au moins celle qui est dominante dans une grande région du continent - d'autant plus que si la leur est minoritaire, il y a de bonnes chances qu'eux-mêmes parlent cette langue dominante (bamabara, lingala, wolof...)) et pas juste le français de Paris et/ou l'anglais américain.

À suivre !