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Il est une heure du matin passé. Je range dans un placard les journaux et magazines sur le président Barack Obama qui était éparpillés dans ma chambre. J'ai quatre ans pour finir de les lire. La tension est retombée, maintenant c'est la fête pour une grande partie du pays et ailleurs dans le monde. Je sors du tiroir le magazine Lire, l'édition de la rentrée littéraire. Les romans traitent de d'histoire d'hommes et de femmes et la dialectique de leur vie n'a pas beaucoup changé depuis... plusieurs décennies au moins. Je regarde ce que j'ai d'autres. Il y a un magazine qui montre en gros plan le visage de Soeur Emmanuelle, rayonnant d'une profonde fraternité. Elle nous a quitté il y a quelques jours. Le journal retrace la vingtaine d'années qu'elle a passé au milieu des "chiffonniers du Caire", au milieu des ordures et des cochons. Elle avait 62 ans quand elle a décidé de vivre la vie de ces frères et de ces sœurs, les plus démunis de la région du Nil. À l'âge de la retraite, elle s'est offerte une seconde vie, la plus heureuse selon elle, car elle y a fait l'expérience de l'infinie force des plus faibles.
Oui, après toute cette fièvre, Barack Obama est élu, l'Amérique et le monde passe une ère nouvelle, une ère "postraciale" dit-on partout. Mon ordinateur souligne ce dernier mot en rouge: le dictionnaire ne le connaît pas encore. J'aurai aimé ne pouvoir dire que ceci: je ne pense pas que l'humain soit un être supérieur dans l'univers. Bien au contraire, au vue de notre histoire, nous avons plusieurs fois tenu très haut le flambeau de la bêtise humaine et nous avons soufflé dessus à l'unisson, la faisant grandir à l'infini. Mais voyez-vous, il y a quelques heures, des dizaines de millions d'hommes et de femmes se sont levés pour mettre à la tête de la plus grande puissance de la planète un homme dont l'une des sœurs est native de l'Orient et qui, en parlant de son enfance, a dit: "Mon père ne ressemblait en rien aux gens qui m’entouraient, il était noir comme le goudron alors que ma mère était blanche comme le lait, mais cela me traversait à peine l’esprit." Certes, nous vivons une crise alimentaire doublée d'une crise financière qui évoluent en une crise économique mondiale. Les ventres sonnent de plus en plus creux. Mais jamais dans notre histoire notre monde ne s'est montré aussi digne aux yeux du reste de l'univers. Au bout de six mille ans, avons-nous finalement entamé une ère postraciale ? Je ne sais pas. Mais quitte à devoir me remettre d'une profonde déception, j'ose timidement l'espérer. Et au moment où j'écris ces lignes, je le pense, je le sens, je le vis, ne serait-ce que pour un jour, ne serait-ce que pour ce jour...
Mais ceci, ce n'est pas complètement moi. Une autre partie de moi qui a beaucoup lu pendant cette campagne sait qu'en ce qui intéresse les non citoyens américains comme moi, à savoir la politique extérieure, la différence entre un démocrate et un républicain ici se trouve dans la forme et non dans le fond. Certes en termes de race, une page est tournée, et nous évoluons dans un monde plus juste dans la lutte contre la discrimination, la ségrégation. Mais va-t-on évoluer vers un monde meilleur ? L'année prochaine, des soldats reviendront de l'Irak, mais le drapeau américain restera planté en Irak sur la carte géopolitique du bureau oval. Ce sera partir, sans partir... D'autres soldats iront en Afghanistan car la lutte contre le terrorisme est loin d'être terminé. Des bases américaines négocieront leur installation dans la plupart des pays d'Afrique, pour concurrencer la présence massive de la Chine sur ces terres encore riches malgré des siècles d'exploitation. Contrairement à un McCain, Obama négociera avant d'aller en guerre contre quiconque. Mais quand il faudra y aller, il ira... Et il faudra encore pour des dizaines de millions de gens sur cette planète de vivre et de mourir en laissant tous ces grands mots, paix, liberté, démocratie, fraternité, allaient certes de l'avant, mais avec une telle lenteur que seuls quelques éclats comme celui de ce soir, dispersés ici et là dans la marche du Temps, nous rappelle leur existence, à l'image des saisons qui nous rappelle que la Terre tourne autour du Soleil.
La civilisation est fragile et Obama parle d'espoir. Pas seulement pour les États-Unis d'Amérique. Il parle d'espoir pour le monde. Je fais parti du monde. Et il va falloir me convaincre. Il a quatre ans pour ça. En attendant, je vais lire quelques extraits du Prince de Machiavel, avant de dormir. La lucidité, même dans le sommeil. Pour survivre, en restant libre.
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