lundi 26 janvier 2009

- On rentre à Dakar Ndack ? - Oui... mais on va habiter où ?


DAKAR DANS UNE SPIRALE INFLATIONNNISTE

Le secteur s’avère particulièrement dynamique. La spirale inflationniste aussi.

Par Amadou Fall, Dakar

Soutenue par un taux de croissance à deux chiffres tournant autour de 15% et portant sa part dans la formation du PIB à 5,4% en 2007, la branche Bâtiment et Travaux publics est le segment le plus dynamique du secteur secondaire sénégalais. Il est nettement plus performant que le sous-secteur industriel, fortement handicapé par la flambée des cours pétroliers et les difficultés que traversent trois parmi les plus grosses entreprises du pays : les Industries chimiques, la Société de raffinage et la Société nationale d’électricité. Le chiffre d’affaires du BTP a crû de 17,7% de 2006 à 2007, contre 9,6% pour le sous-secteur industriel, comme relevé dans la note de conjoncture rendue publique en décembre 2007 par le Ministère de l’économie et des finances du Sénégal.
Le BTP est, en très grande partie, redevable de son expansion aux grands chantiers qui s’exécutent dans le domaine des infrastructures routières, mais également aux investissements croissants dans l’immobilier. Selon les résultats d’une enquête à l’initiative de la Fédération sénégalaise des sociétés d’assurances, plus de 46 milliards de FCFA (70 millions d’euros) y sont investis, chaque année, à Dakar principalement.

Frénésie constructive
Concentrant 80% des industries, 75% des autres activités économiques et administratives, 30% de la population du pays et l’essentiel des étrangers qui y vivent ou séjournent, la capitale sénégalaise est prise dans une incroyable frénésie constructive. La demande exponentielle en locaux à usage industriel, commercial, administratif ou domestique, résultant de cette très forte concentration économique et humaine, est en train de transformer le paysage urbain dakarois. Du quartier des affaires communément appelé Plateau jusqu’aux banlieues les plus reculées, les chantiers se multiplient d’où émergent, comme des champignons, des bâtiments flambant neufs mais à qualité variable. Il faut noter que le secteur compte quelque 20 000 entrepreneurs informels, dont certains, pour ne pas dire la plupart, travaillent hors normes…
Dans un contexte où nombre de secteurs d’activité sont en crise, saturés ou très aléatoirement rentables, le foncier et l’immobilier s’offrent de plus en plus à Dakar comme des « valeur-refuges » et des « valeurs sûres », qui répondent à une demande incompressible comparée à d’autres. L’on y investit parce que le créneau est d’un rapport immédiat confortable et constitue une rente qui gagne en valeur, avec le temps, pour la famille. Surtout que dans la capitale sénégalaise, très à l’étroit dans ses limites naturelles et qui n’a désormais plus de réserves foncières, la demande immobilière restera toujours plus forte que l’offre.

Augmentation constante
Les conséquences de ce déséquilibre, devenu structurel, se mesurent, d’ores et déjà, à l’aune de la spéculation effrénée qui prévaut tout à la fois dans les transactions sur les terrains encore disponibles, sur les coûts des matériaux de construction, la vente ou la location de locaux à usage commercial, administratif ou d’habitation. Avec un besoin en constante augmentation, au rythme de 8% l’an, le ciment produit par la Sococim (plus de 2 millions de tonnes l’an) et les Ciments du Sahel (environ 650 000 tonnes) ne suffit quasiment plus à la demande. Le produit est dans un vertigineux tourbillon inflationniste, malgré la rude concurrence entre les deux cimenteries. La tonne de ciment coûtait, cinq années plus tôt, 44 000 FCFA. Elle est actuellement cédée à 75 000 FCFA à Dakar (et encore plus cher quand on s’en éloigne, compte tenu du coût du transport). Le sable des plages, généralement utilisé dans les constructions, est de moins en moins accessible, du fait des mesures prises à l’encontre de son exploitation qui accentue l’avancée de la mer. Il coûte, en conséquence, de plus en plus cher. Il en est de même de presque tous les autres intrants qui sont, pour l’essentiel, importés.
La pression de la demande s’accentue sur un espace constructible qui se réduit comme peau de chagrin. Ainsi, des zones stratégiques ou à risques s’étendant sur plusieurs centaines d’hectares, dont le domaine public maritime, les réserves d’extension de la Foire de Dakar, les emprises de la Pyrotechnie, de la Voie de dégagement nord, du stade Léopold Sédar Senghor, du camp militaire de Thiaroye, du centre émetteur de Yeumbeul, du champ de tir de Ouakam et du camp militaire attenant à ce site, les servitudes aéronautiques autour de l’aéroport Léopold Sédar Senghor, le stade Assane Diouf ont été déclassés pour faire place à des lotissements immobiliers. Même des espaces inondables, comme la zone de captage des eaux de ruissellement entre l’autoroute et la route du Front de terre, ont subi un sort analogue.

Ils sont devenus si élevés qu’ils tendent à se rapprocher des standards occidentaux. Le loyer mensuel d’un appartement ou d’un ensemble de bureaux varie entre 1219 et 4574 euros au centre-ville.

Les yeux de la tête
La moindre parcelle de terrain coûte actuellement les yeux de la tête dans la capitale sénégalaise. Au centre-ville, le mètre carré de la plus vieille bâtisse à démolir pour du neuf ne vaut pas moins d’un demi million de FCFA. Dans la zone résidentielle des Almadies, le coût du mètre carré, qui était administrativement fixé à 9 euros, est maintenant à plus de 304 euros, si l’on en trouve encore. Dans les réserves foncières aménagées par l’Etat du Sénégal dans la proche et lointaine banlieue, en principe pour les ménages à revenus faibles ou moyens, les parcelles dont le prix officiel tournait autour de 15 euros le mètre carré se revendent, en ce moment, jusqu’à 152 euros. La surenchère sur les intrants de construction et sur les terrains, corrélée à des taux bancaires particulièrement élevés concernant l’immobilier (entre 8 et 14%) et à une demande toujours plus ample, a de déroutantes répercussions sur les loyers. Ils sont devenus si élevés qu’ils tendent à se rapprocher des standards occidentaux. Le loyer mensuel d’un appartement ou d’un ensemble de bureaux varie entre 1219 et 4574 euros au centre-ville. Dans les quartiers huppés de Sacrée Cœur Pyrotechnie, de Fann résidence, du Point E, des Almadies, des appartements et résidences de moyen ou grand standing sont loués entre 1000 et 3000 euros.

Coûts insupportables
Le coût élevé des loyers est d’autant moins supportable que les revenus de la plupart des Sénégalais sont bas. Le salaire moyen d’un cadre de l’administration publique tourne autour de 300 euros. Un ouvrier dans le secteur privé gagne à peine 152 euros et un agent de maîtrise 450 euros.
Force est de constater que le boum de l’immobilier, qui fait le bonheur des promoteurs, opérateurs financiers, entrepreneurs en bâtiment et pourvoyeurs d’intrants qui s’y activent, s’accompagne d’une insoutenable inflation qui met de plus en plus de Sénégalais dans l’impossibilité d’avoir un toit bien à eux, ou même d’en louer. Au train où vont les choses, une baisse des loyers, tant réclamée à Dakar, est d’autant moins possible que les sociétés d’Etat (Banque de l’habitat, Société nationale de l’habitat à loyer modéré, Société immobilière du Cap-Vert) censées réguler le marché en produisant des logements en faveur des faibles et moyens revenus ont, depuis longtemps, baissé les bras. Elles sont plutôt portées sur les réalisations haut de gamme. La législation en matière de bail immobilier est plus que désuète. Encore faut-il avoir la possibilité d’agir à la baisse sur les coûts en amont relatifs au foncier, au loyer de l’argent, au prix du ciment, entre autres, pour extraire Dakar de sa spirale inflationniste.

Les Afriques - Le Journal de la Finance Africaine


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