vendredi 23 janvier 2009

« Verre Cassé » d’Alain Mabanckou


Je viens de finir de le lire. C'est... poignant. Un mélange inattendu entre la décrépitude et le merveilleux, une dualité très humaine qui finalement reflète la réalité intérieure de tous et de tout temps. J'ai trouvé ce livre magique.






Une critique du livre sur www.afrik.com

Portraits pittoresques des clients d’un bar congolais


Verre cassé ou les portraits pittoresques des clients d’un bar congolais. Alain Mabanckou livre dans ce cinquième roman l’histoire « très horrifique » du « Crédit a voyagé », un bar malfamé de Brazzaville. Verre Cassé, l’un des clients les plus assidus, s’est vu confié une mission très spéciale par le propriétaire. Il doit immortaliser dans un cahier les aventures fantastiques de la troupe « d’éclopés » qui fréquente son établissement.

Vendredi 4 août 2006, par Vitraulle Mboungou

Pour son cinquième roman, Verre cassé, l’auteur congolais Alain Mabanckou a choisi de placer une fois de plus les marginaux et autres damnés de la terre au cœur de son récit. Verre cassé est le nom d’un des clients les plus assidus du « Crédit a voyagé », un bar des plus atypiques de Brazzaville (Congo). Son propriétaire, l’Escargot entêté, soucieux de laisser une trace à la postérité et ayant remarqué le don de Verre cassé pour l’écriture, lui confie une mission très spéciale. Il doit inscrire dans un cahier l’histoire de la bande « d’éclopés » qui fréquente son bar pour que personne ne l’oublie. L’Escargot entêté pense que ses compatriotes n’ont pas « le sens de la conservation de la mémoire, que l’époque des histoires que racontait la grand-mère grabataire [est] finie, que l’heure [est] désormais à l’écrit parce que c’est ce qui reste, la parole c’est de la fumée noire, du pipi de chat sauvage ». Il déteste donc entendre les formules toutes faites du type, « en Afrique quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ». Lorsqu’il entend ce cliché, il répond : « ça dépend de quel vieillard, arrêtez donc vos conneries, je n’ai confiance qu’en ce qui est écrit [...] ».

L’art des références

L’une des grandes originalités de ce roman est ce clin d’oeil subtil fait à d’éminentes oeuvres littéraires, notamment africaines. Ainsi Alain Mabanckou écrit : « Je me souviendrai toujours de ma première traversée d’un pays d’Afrique, c’était la Guinée, j’étais l’enfant noir (Camara Laye, ndlr),[...] j’étais intrigué par la reptation d’un serpent mystique qui avalait un roseau que je croyais tenir réellement entre les mains, et très vite je retournais au pays natal (Césaire, ndlr), je goûtais aux fruits si doux de l’arbre à pain (Tchicaya U tam’si, ndlr), j’habitais dans une chambre de l’hôtel la vie et demie (Labou Tansi Sony, ndlr), qui n’existe plus de nos jours et où, chaque soir, entre jazz et vin de palme (Emmanuel Dongala, ndlr), mon père aurait exulté de joie, et je me réchauffais au feu des origines (Dongala, ndlr) ».

« La culture, c’est ce qui nous reste lorsqu’on n’est plus rien », aime à répéter Alain Mabanckou qui témoigne ainsi son estime à tous ces grands auteurs, véritables maîtres à penser pour lui. Poète et romancier, il s’est imposé, avec une quinzaine de livres, en quelques années comme l’un des écrivains les plus talentueux de la littérature francophone. Couronné par le prix Ouest-France/Etonnants Voyageurs, le prix des 5 continents de la Francophonie et le prix RFO du livre en 2005, Verre cassé se situe dans la lignée d’African Psycho , où le romancier congolais examinait déjà les sociétés africaines « dans leur vie quotidienne du dehors », sous l’angle de la rue, des marginaux ou des victimes du système familial.

Alain Mabanckou le conteur

Le roman se présente comme un long monologue de plus de 200 pages, à la fois celui de Verre Cassé, l’anti-héros par excellence, mais aussi celui des autres clients du bar. Alain Mabanckou ne respecte pas ici les règles d’écriture normale. L’ouvrage est dépourvu de tout signe de ponctuation, pas le moindre point à la ligne, juste des virgules. En livrant ainsi les histoires en continu, il donne un ton oral et rythmé à la narration. Il se fait conteur à travers Verre cassé qui chante tel les griots « les hauts faits » de chacun, afin qu’ils aient tous droit, même les plus démunis, à une trace dans l’histoire. C’est sans aucun doute une des grandes réussites de ce roman.

Alain Mabanckou, qui a obtenu le Grand Prix littéraire d’Afrique noire en 1999 avec Bleu Blanc Rouge, est parvenu à conserver, avec succès, dans ce dernier roman, le « langage parlé », en retranscrivant le débit (de boissons aussi) des clients du « Crédit a voyagé ». Ecrit dans un style léger et ludique, le dernier roman du professeur de littératures francophone et afro-américaine à l’Université de Californie Los Angeles (UCLA), est une réussite totale. Un vrai régal qui peut aussi s’apprécier en anglais, polonais, espagnol et coréen.

Verre Cassé d’Alain Mabanckou, paru aux éditions du Seuil en janvier 2005 et cette année en livre de poche.

4 commentaires:

Rey Feliz a dit...

Papi Goethe a aussi dit que "Le meilleur de nos convictions ne peut se traduire par des paroles. Le langage n'est pas apte à tout." Ce qui m'emmene à ton commentaire sur ce livre.

La crise, un prélude à une autre page d'histoire: « Verre Cassé » d’Alain Mabanckou

Je ne sais pas si tu avais vu un lien, mais sans le savoir, ces deux entrées nous rammènent à une idée que toi et moi partageons: de l'importance d'écrire et du rôle de l'écriture. Merci pour le clin d'oeil (conscient ou pas) !! Bises. Toun!

GANGOUEUS a dit...

Je découvre le blog de l'éternelle étudiante :o). Enchanté Ndack.
Je glisse un petit commentaire sur ce roman clé d'Alain Mabanckou. Tant sur le plan du style, de l'esthétique et sur la densité du personnage de Verre cassé qui suscite l'introspection. Le mal intérieur de Verre cassé ne trouve pas sa cause dans un système politique décadent mais dans une félure intime. Il y a dans ce roman un discours sur la responsabilité individuelle qui m'intéresse et qui n'est pas courant chez les auteurs africains.

@ bientôt,

Ndack a dit...

Bonjour Gangoueus,
J'ai découvert ton blog en cherchant sur google des réactions par rapport à "Verre Cassé" et j'avais justement bien apprécié ton analyse de l'oeuvre. En effet, ce qui m'a frappé moi aussi dans ce roman c'est cette nouvelle perspective que tu décris. Cela m'a fait penser à la manière dont les cinéastes noirs américains de la génération de Spike Lee ont révolutionné la place de l'homme Noir dans nos écrans: non seulement il est en premier plan, mais - et c'est ce qui est le plus important - il est à la fois le problème et la solution, le Blanc n'ayant qu'une place secondaire ou pas de place du tout. On le voit par exemple dans "Do the right thing". Dans "Verre Cassé", même celui qui passe son temps à dire "... et je ne suis pas raciste..." est un Noir ! Et les femmes, noires comme blanches, sont souvent des boucs émissaires que ces hommes décadents utilisent pour essayer de comprendre leurs destins. Cet oeuvre est universelle car elle met le doigt sur une dialectique que nos limites n'arrivent pas à comprendre ni à intégrer: que nous sommes nous-mêmes à la fois nos propres ennemis et nos propres sauveurs. Tout le reste n'est souvent (même si pas toujours) que prétexte...

GANGOUEUS a dit...

On se comprend. La référence particulière à Do the right thing et à Spike Lee en général est excellente.

Je pense que c'est un discours difficile à entendre pour nombre d'africains, mais c'est le seul capable de nous amener à une révolte intérieure.
Cela ne dédouane pas de leur responsabilité les dictateurs, responsables politiques de notre continent ou les multinationales prédatrices, mais le changement viendra de l'exigence du citoyen lambda.
Une littérature responsable peut participer à la construction d'un homme nouveau. En cela, Verre Cassé après m'avoir fait moyennement rigolé, ce roman a été riche d'enseignement quand le personnage central se met à table... C'est un début...

@ bientôt,