lundi 12 janvier 2009

Potentiellement une source de crises politiques à venir‏



Les transferts de fonds des immigrés vers leur pays d'origine réduits par la récession


Yves Mamou - Le Monde du 05 Décembre 2008

La montée du chômage dans les pays développés due à la récession commence à avoir des conséquences indirectes sur les pays du Sud. Les travailleurs migrants, qui occupent souvent des postes non qualifiés, sont parmi les premiers à perdre leur emploi. Or une partie de leur salaire est transférée vers leur pays d'origine. Ainsi, en 2007, 190 millions de travailleurs migrants dans le monde ont fait parvenir à leur famille 318 milliards de dollars (environ 248 milliards d'euros), selon les statistiques de la Banque mondiale. Si l'on considère les seuls envois au Sud, ces transferts de fonds ont atteint 240 milliards de dollars. Entre 2000 et 2007, ces envois ont été multipliés par quatre. Mais depuis un an, la croissance s'est nettement ralentie et, en 2009, les transferts pourraient décliner. Un tiers d'entre eux ont concerné, en 2007, trois pays : l'Inde (27 milliards de dollars en 2005), la Chine (25,7 milliards) et le Mexique (25 milliards). Mais pour tous les pays du Sud, ces flux sont vitaux. La Banque mondiale estime qu'ils représentaient 17 % du produit intérieur brut (PIB) d'Haïti au début des années 2000 et 40 % du PIB somalien à la fin des années 1990. Les études de la Banque mondiale ont montré que l'argent des immigrés a contribué à réduire la misère. En Ouganda, la part de la population qui vivait en dessous du seuil de pauvreté s'est réduite de 11 % en 2005. Même si l'Afrique ne réceptionne qu'une part minime - 4 % seulement - de l'ensemble des fonds migrants, une réduction sensible de ces sommes commence à inquiéter la Banque africaine de développement (BAD). Celle-ci estime que les 15 milliards de dollars attendus en 2008 (14 milliards en 2007) pourraient faire défaut. D'ores et déjà, le Mbuzi ya Jamii (littéralement "une chèvre pour la famille"), qui permettait aux Kényans immigrés de payer en ligne des produits et services destinés à la famille restée au pays, a vu son chiffre d'affaires décliner, relève un rapport de la BAD. Les transferts de fonds à destination de l'Amérique latine et des Caraïbes se sont élevés à près de 60 milliards de dollars au cours de 2007. Soit une hausse à un chiffre entre 2006 et 2007 (6 %), alors qu'entre 2000 et 2006 la hausse a été de 19 % par an. La crise de l'immobilier aux Etats-Unis a fait grimper le chômage des Hispaniques à 8,8 % en octobre. Bien au-dessus de la moyenne nationale à 6,5 %. La Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes estime que, en 2009, 2 à 3 millions de migrants pourraient être contraints de rentrer au pays. La crise pourrait toutefois révéler une flexibilité nouvelle du marché du travail européen. Les 250 000 Polonais installés en Irlande depuis les années 2000 sont les premiers touchés par les licenciements. Mais les aides qui se déversent sur l'ensemble des pays d'Europe centrale pour les aider à passer le cap de la crise ont incité plus de 20 000 salariés polonais à rentrer au pays. Ce qui dégonfle les statistiques du chômage en Irlande et fait grimper celles de l'emploi en Europe centrale. Les violentes émeutes qui ont éclaté en Chine dans la province du Guangdong, fin novembre, après que des centaines d'ouvriers ont été licenciés par des fabricants de jouets, pourraient être un signe avant-coureur du climat à venir dans d'autres pays victimes de la chute des transferts d'argent. La bande côtière de la Chine importe massivement des travailleurs non qualifiés en provenance de l'immense arrière-pays. Selon Benoit Vermander, directeur de l'Institut Ricci de Taipei à Taïwan, "près de 150 millions de paysans chinois ont quitté leurs champs au cours de ces dernières années pour trouver un emploi dans le bâtiment, les usines de montage, etc.". Jusqu'à il y a peu, "ce nombre augmentait sans cesse", explique M. Vermander. Mais la mécanique s'est arrêtée. Officiellement, les statistiques du chômage indiquent une hausse légère de 3 % à 4 %. Mais elles ne couvrent que les Chinois munis d'une autorisation. Les "clandestins" se comptent, eux, par millions. Quant aux conséquences financières pour l'arrière-pays, elles sont difficiles à quantifier. "Les transferts ont lieu en liquide quand la personne retourne au pays. Mais cet argent a un rôle vital, il a permis de bâtir des maisons neuves, financer l'accès aux soins, des achats de bétail, l'école pour les enfants." Une manne qui est en train de subitement disparaître.

2 commentaires:

Piscoblue a dit...

Parfait timing pour cet article. J'ai un ami qui travaille pour un agence internationale au Kosovo qui doit remettre un rapport sur les effets de la crise pour ce jeune pays. Evidemment les transfert sont une source majeure de revenus après l'aide internationale. Le pays va souffrir de ces deux sources au cours des années à venir.

Ndack a dit...

Pour certains pays, les transferts de fonds constituent même la source majeure de revenus, devant l'aide internationale notamment.

Un extrait de cet article "Transferts de fonds : une aubaine pour le développement", Afrique Renouveau, Vol. 19 #3 (Octobre 2005), page 10

http://www.un.org/french/ecosocdev/geninfo/afrec/vol19no3/193transferts-de-fonds.html

Dans un rapport intitulé Global Development Finance 2005: Mobilizing Finance and Managing Vulnerability, la Banque mondiale considère que ces transferts de fonds constituent une source de plus en plus importante de financement du développement, qui, dans certains pays, dépasse l’aide publique au développement. “Les fonds envoyés dans les pays en développement par des émigrés travaillant à l’étranger, résidents ou non résidents ont augmenté, d’après les estimations, de 10 milliards de dollars (8 %) en 2004, pour atteindre 126 milliards de dollars”, indique la Banque. L’année précédente, ils avaient progressé de 17 milliards de dollars, cette hausse ayant en grande partie eu lieu dans les pays à faible revenu. La plupart des pays de destination sont des pays à revenu intermédiaire, mais les fonds transférés dans des pays pauvres jouent un rôle important par rapport au produit intérieur brut, note la Banque.

Cependant, les chiffres publiés par la Banque ne tiennent compte que des transferts de fonds officiels. Si l’on y ajoute les flux non-officiels, le montant total pourrait être 2,5 fois plus élevé. “Les flux passant par des voies informelles … ne sont pas comptabilisés dans les statistiques officielles, mais l’on pense qu’ils sont très importants”, précise la Banque.

Pour un sans-papier zimbabwéen qui travaille à Dallas, au Texas (Etats-Unis), les transferts non-officiels constituent la meilleure solution. “Comme beaucoup de mes collègues, je passe par des réseaux informels d’amis pour envoyer de l’argent dans mon pays, parce que je n’ai pas de papiers.” Il envoie au moins 200 dollars par mois et parfois jusqu’à 1000 dollars. Il préfère également les transferts informels en raison du taux de change plus élevé du marché parallèle, sur lequel les négociants accordent un taux jusqu’à deux fois supérieur au taux officiel.