Malgré le long silence de ce blog depuis que j'essaie de passer la derrière ligne droite de ma thèse, je me dois de partager avec vous cette (re)découverte. Vous souvenez-vous de ma crise(!) après l'élection d'Obama ? Les séquelles sont encore là d'ailleurs, on le voit dans le post précédent... Dans une auto-psychanalyse un an plus tard j'ai compris ce qui l'a déclenché. En fait, consciemment ou pas, peut-être par la façon dont j'ai été élevée au Sénégal et ensuite grâce à un contact très cordial que j'ai eu avec le Québec (avec qui je ne partageais pas un passé commun basé ni sur l'esclavage, ni sur la colonisation), j'ai pu vivre en tant que jeune fille puis en tant que jeune femme tout simplement pendant des années. Mais à l'élection d'Obama, pour la première fois, j'ai été forcée de vivre en tant que jeune femme NOIRE. Des gens que je ne connaissais pas me souriez et me félicitez parce qu'un Noir était à la Maison Blanche et comme je suis Noire, ils s'attendent à ce que je scande aussi Yes we can ! C'était comme une atteinte à ma liberté individuelle - puisqu'à priori, juste de par mon faciès, je ne pouvais pas être républicaine, ce qui n'avait rien à voir puisque c'est un choix politique. Bref, je devais forcément être fière parce que Obama est noir, je suis noire et les États-Unis ne sont pas mon pays, mais c'est quand même la première puissance mondiale... Cette catégorisation dont je faisait l'objet (heureusement temporairement car l'émotion est retombée) m'avait secouée au plus profond de moi.
Et là, tout à coup, en me balandant sur le net le temps que de cuire un gigot au four (miam!), je tombe sur l'album Clameurs de Jacques Coursil. En fait, Frantz Fanon avait déjà dit tout ce que je voulais dire sur ce sentiment que j'ai ressenti après l'élection (voir les parties du texte que j'ai mises en gras)... Comme quoi on n'invente rien ! Toujours retourner aux classiques...
Bien à vous,
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Textes de Frantz Fanon, Paroles de la pièce de musique Frantz Fanon 1952 de l'album "Clameurs" du célèbre trompettiste Jacques Coursil:
http://coursil.com/2_music%20clameurs.htm
Frantz Fanon 1952
Livret Jacques Coursil tiré de Peau Noire Masques Blancs par Frantz Fanon
Editions du Seuil Paris 1952
OUI,
L’homme est un OUI.
Mais c’est un NON aussi.
Non, au mépris,
Non, au meurtre de ce qu’il y a de plus humain dans l’humain : la liberté.
Des tonnes de chaînes,
des orages de coups,
des fleuves de crachats
ruissellent sur mes épaules.
Je sentis naître en moi des lames de couteau.
Et plus violente retentit ma clameur.
Eiah !
Je suis nègre.
Mais je n'ai pas le droit de me laisser ancrer.
Non !
je n’ai pas le droit de venir et de crier ma haine.
- pas le droit,
de souhaiter la cristallisation
d’une culpabilité
envers le passé de
ma race -
Dois-je me confiner
à la répartition raciale de la culpabilité,
Non, je n'ai pas le droit d'être un Noir.
- je n’ai pas le droit d’être ceci ou cela…
Le Nègre n’est pas, pas plus que le Blanc.
Je demande qu'on me considère à partir de mon Désir.
Je me reconnais un seul droit :
celui d’exiger de l’autre
un comportement
humain.
Le malheur et l’inhumanité du Blanc
sont d’avoir tué l’humain
quelque part.
Le malheur du nègre
est d’avoir été esclave.
Mais je ne suis pas esclave
de l'esclavage
qui déshumanisa mes pères.
Je suis homme
et c'est tout le passé du monde
que j'ai à reprendre.
- la guerre du Péloponnèse
est aussi mienne
que la découverte de la boussole.
Je ne suis pas seulement responsable
de Saint-Domingue -
La densité de l'Histoire
ne détermine aucun de mes actes.
Je suis mon propre fondement.
Exister absolument.
Je n'ai ni le droit ni le devoir
d'exiger réparation
pour mes ancêtres domestiqués.
Pas le droit de me cantonner
dans un monde de réparations rétroactives.
Je ne suis pas prisonnier de l'Histoire
Il y a ma vie prise
au lasso de l'existence.
Il y a ma liberté.
Il n'y a pas de mission Nègre ;
Pas de fardeau Blanc
pas de monde blanc
pas d'éthique blanche,
pas d'intelligence blanche.
Il y a de part et d’autre du monde
des humains qui cherchent.
Ô mon corps,
fais de moi toujours
un homme qui interroge !
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http://www.africultures.com/php/index.php?nav=personne&no=14262
1938 naissance à Paris.
1958-61 séjourne et étudie au Sénégal et en Afrique de l'Ouest.
1965-69 s'installe à New York où il participe à la révolution du free jazz.
1969 de passage à Paris, enregistre "Way Ahead" et "Black Suite", puis disparaît du monde la
musique pour se consacrer à sa carrière de linguiste.
2005 John Zorn lui propose de ré-enregistrer. "Minimal Brass" relance sa carrière.
2007 sortie de "Clameurs" au printemps, répétitions à l'automne pour remonter sur scène à La
Dynamo de Banlieues Bleues.
Il a joué avec Sun Ra, Albert Ayler, Sunny Murray, Frank Wright, Burton Greene, Anthony Braxton, Rocé…
2007 Jacques Coursil, Clameurs. Suites Enchaînées. Universal Jazz/France
Jacques Coursil, trompettiste, esthète, linguiste, et grand passant du 20ème siècle, célèbre son retour à la scène pour ouvrir en beauté, en beautés ténébreuses, la 25ème édition de Banlieues Bleues. Coursil, le fils d'exilés martiniquais dans la France de l'entre-deux guerres, de l'après-guerre, de la décolonisation, du post-colonialisme ; Coursil, accueilli dans la maison et la famille de Léopold Sédar Senghor à Dakar, accueilli dans l'orchestre et la famille de Maynard Ferguson à New York, puis parmi les bataillons d'enfants terribles du free jazz, avec lesquels il revient et disparaît aussitôt, à Paris, au tournant des années 70 ; Coursil, élève de Noël Da Costa du côté classique du contemporain et élève de Bill Dixon du côté jazz du contemporain, auteur de deux grands disques de musique spectrale, où l'improvisation se fait mystère. Coursil, qui disparaît pour réapparaître comme professeur en sciences du langage à l'Université de Caen, puis à l'Université des Antilles-Guyane et à la Cornell University dans l'État de New York. Il dit alors : "Le dialogue, lieu de parole, est aussi par nécessité, un espace de silence." Il dit aussi : "Ainsi dans le dialogue, parler est un événement, et entendre, une constante." Ainsi dans les dialogues que Jacques Coursil, musicien inespéré, accueilli d'abord par John Zorn pour une imaginaire fanfare en solo démultiplié, désormais produit sur Universal Jazz / France, instaure entre sa trompette des profondeurs et les clameurs des poètes et des écrivains qu'il pratique : Frantz Fanon, Edouard Glissant, Monchoachi, Antar... Jacques Coursil le trompettiste qui parle toutes les langues secrètes de la musique des sphères, sa syntaxe sobre de logicien et sa grammaire sombre d'émotions. Jouer est un événement - et ce concert d'ouverture, où il présente sur scène son chef d'oeuvre discographique de 2007, soit les oratorios contemporains de "Clameurs", en sera assurément un.