mercredi 27 mai 2009

GM et la crise... toute une saga pour tout un symbole.

Un article de Radio-Canada que j'ai lu ce matin. Ou est passé l'époque où on laissait la place quand on n'était plus compétitif ? Comment s'en sortir avec un système hybride: capitaliste sans pitié quand tout va bien et subventions et appels à l'aide quand tout va mal ?

Vers la faillite

Mise à jour le mercredi 27 mai 2009 à 9 h 56

General Motors serait sur le point de se placer sous la protection de la loi sur les faillites.

Le constructeur américain a annoncé mercredi l'échec des négociations avec les créanciers sur la restructuration de sa dette obligataire.

GM proposait à ses créanciers de convertir leurs titres en actions de l'entreprise. Le schéma initialement présenté proposait aux créanciers de recevoir 10 % du capital du constructeur, mais ces derniers ont jugé qu'ils étaient mal traités par rapport à d'autres parties prenantes.

Le numéro un américain de l'automobile s'était fixé pour objectif d'obtenir l'accord de 90 % de ses porteurs de dette obligataires. Mais la réponse a été en deçà des attentes de GM.

De ce fait, le conseil d'administration de GM se réunira pour discuter des mesures à prendre.

La restructuration de 27,2 milliards de dollars de dettes non garanties était l'une des conditions posées par le Trésor américain pour éviter au constructeur un dépôt de bilan. L'échéance a été fixée au 1er juin.

Le Trésor avait prévenu qu'en cas de dépôt de bilan, les actionnaires actuels allaient tout perdre et que les porteurs de titres non garantis pourraient ne recevoir qu'une partie de leur dû.

Une faillite de GM serait la quatrième en importance dans l'histoire récente des États-Unis.

Avec 91 milliards de dollars américains d'actifs fin 2008, une faillite de GM serait la quatrième en importance après la banque d'affaires Lehman Brothers (septembre 2008, 691 milliards d'actifs), la banque commerciale Washington Mutual (septembre 2008, 328 milliards d'actifs) et le groupe de télécommunications WorldCom (juillet 2002, 104 milliards d'actifs).

Selon le quotidien Wall Street Journal, l'État fédéral se retrouverait finalement à la tête d'une participation pouvant atteindre 70 %, reflétant les sommes colossales qu'il va lui falloir injecter dans l'entreprise pendant la durée de sa restructuration sous contrôle judiciaire.

L'administration Obama serait prête à injecter jusqu'à 50 milliards de dollars pour éviter une liquidation pouvant avoir des conséquences en chaîne sur l'ensemble de l'économie du pays.

Par ailleurs, la Commission européenne a demandé une réunion des ministres des Finances et de l'Industrie européens sur l'avenir de GM en Europe. Les Européens craignent la perte de dizaines de milliers d'emplois. Le constructeur américain possède Opel en Allemagne, Vauxhall en Grande-Bretagne et SAAB en Suède.

Radio-Canada.ca avec Agence France Presse

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Le roi déchu
Le Journal de Montréal, p. 29 / Nathalie Elgrably-Lévy, 04 juin 2009

Albert Camus nous enseignait que «Mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde». On pourrait également dire que c’est une pratique sournoise visant à détourner l’attention, voire même à occulter la réalité. Le cas de GM en est la preuve.

Le constructeur a demandé au tribunal sa mise sous chapitre 11. Théoriquement, cette mesure devrait lui permettre de rester en possession de tous ses actifs, et de négocier les demandes des créanciers, les échéances de ses paiements et le montant de sa dette, tout cela afin d’assurer le retour à la rentabilité. Or, dans le cas de GM, son plan de restructuration donnera naissance à une nouvelle entité détenue à 72% par les gouvernements américain et canadien. Ne serait-il donc pas plus approprié de parler de nationalisation? À moins, bien entendu, qu’on évite d’employer le mot juste pour camoufler l’agenda socialiste de la nouvelle administration!

Évidemment, Washington a promit de rester à l’écart des décisions de gestion. Mais on peut raisonnablement douter qu’il respectera son engagement. L’administration Obama a déjà renvoyé le PDG de GM et a fixé un objectif de vente de 10 millions de voitures annuellement. Récemment, elle s’est réservé le droit de voter sur les questions de gouvernance qu’elle juge fondamentales, mais sans jamais les définir précisément. On peut donc s’attendre à ce qu’elle impose certains choix, comme la construction de voitures propres qui répondront à son souci écologique, ou l’interdiction de construire des véhicules ailleurs qu’aux États-Unis.

Mais indépendamment de l’ingérence de Washington, il faut s’interroger sur l’utilité de la nationalisation.

Tout d’abord, vu les montants investis, il faudrait que la nouvelle entité vende 14 millions de véhicules annuellement pour que l’État commence à récupérer son argent. Or, on voit mal pourquoi la nationalisation inciterait les Américains à accorder leur préférence aux véhicules GM alors qu’ils les boudent depuis longtemps. Le fait que l’entreprise appartienne à l’État serait-il devenu un argument de vente?

Ensuite, il faut se demander comment cette nationalisation affectera la capacité de financement de Ford. Comme Washington possède 60% de GM, il pourrait être tenté d’adopter des mesures ou de voter des lois qui avantageraient la nouvelle société d’État au détriment de ses rivales, créant ainsi une concurrence déloyale contre laquelle personne n’aura de recours. Le nouvel actionnariat public place tous les constructeurs en position de faiblesse par rapport à GM. Dans ce contexte, quel investisseur serait désormais disposé à prêter à Ford? Or, si ce dernier est incapable de trouver les fonds nécessaires à l’achat de capital physique ou de nouvelles technologies, il deviendra moins compétitif et pourrait à son tour recourir au chapitre 11. En voulant «sauver» GM, l’administration Obama est donc peut-être en train de fragiliser davantage les piliers d’une industrie déjà en crise.

Finalement, puisque GM et Chrysler bénéficient des largesses de l’État, ne serait-il pas logique que Ford tente également d’obtenir des fonds publics? Pouvons-nous vraiment espérer qu’elle s’évertue à assainir son bilan si le contribuable peut payer la note à sa place?

Certains diront que cette nationalisation vaut la peine au regard des emplois qu’elle permet de préserver. Or, un calcul rapide montre que, jusqu’à maintenant, chaque emploi maintenu chez GM a coûté 427 000$ aux contribuables américains, et 1,4 million $ aux contribuables canadiens. Pour les raisons invoquées ci-dessus, le coût total sera nettement plus important. On veut sauver l’industrie automobile. Soit! Mais qui sauvera le contribuable?

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l'Institut économique de Montréal.

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.



lundi 25 mai 2009

Fuite des cerveaux

Le professeur Mamadou Diouf dirige l'Institut Afrique de l'Université Columbia aux États-Unis. Il a accordé le 18 mai dernier un entretien à Pressafrik.com dans lequel il donne sa lecture de la situation politique actuelle du Sénégal. Politique mis à part, j'ai apprécié son analyse sur la fuite des cerveaux dont l'extrait est ci-dessous.

En effet, il est difficile de rester sédentaire quand la curiosité intellectuelle est plus forte - on va là où les opportunités se trouvent tout simplement. Ainsi, j'ai des amis d'enfance qui sont retournés au Sénégal pour y vivre après leurs études à l'étranger: la seule condition était d'avoir un minimum pour vivre correctement. Puis il y en a d'autres qui déposent leurs curriculum vitae... partout dans le monde. C'est sûr qu'il faut un minimum d'argent pour vivre, c'est normal, c'est la base. Mais ensuite les choix des destinations ne se limitent en général pas complètement au revenu. Il y a d'autres facteurs qui entrent en jeu, qu'on ne peut pas toujours dans la sédentarisation et qui varient selon les individus: épanouissement personnel, passions, découvertes, défis, liberté...

Extrait:

Aujourd’hui le problème n’est pas de prévenir la fuite des cerveaux


Je pense qu’on se trompe beaucoup. Pour la plupart d’entre eux, ce n’est pas la recherche d’argent. L’Afrique ne peut pas résister au mouvement de la globalisation des intelligences. Je ne suis pas persuadé que les gens partent pour l’argent. On a une vision non conforme à la réalité par rapport à l’argent qu’on gagne à l’étranger. L’argent que les gens gagnent aux USA est dépensé aux USA pour leur vie quotidienne, pour la scolarisation de leurs enfants, mais aussi l’argent qu’ils renvoient à leurs familles. C’est vrai qu’ils gagnent beaucoup plus que les sénégalais. Il ne faut pas se faire d’illusions, mais ils dépensent beaucoup plus. Je pense que la plupart d’entre eux ne sont pas partis pour cela.

Dans mon cas personnel je ne suis pas parti pour cela. Quand j’étais au Sénégal et que je travaillais dans une autre institution avec l’université qui est le CODESRIA, j’étais dans une situation meilleure que celle que je vis aux USA. Je gagnais un salaire très décent. Mais à un moment, dans la vie d’une personne les préoccupations intellectuelles sont plus importantes. Et quand on fait partie d’une conversation dont les principaux intervenants ne vivent pas au Sénégal, le fait de se déplacer ailleurs est très facile. Moi je peux me retrouver dans une université chinoise tant que je peux enseigner en français ou en anglais. J’ai des collègues historiens avec qui je discute de la même chose. Ils travaillent sur l’Afrique tout comme moi. Aux USA, les gens avec qui je discute l’histoire de l’Afrique ou du Sénégal sont des américains ou des européens qui vivent et enseignent aux USA.

L’environnement intellectuel dans lequel on vit est très déterminant. Aujourd’hui le problème n’est pas de prévenir la circulation, le départ des gens, mais c’est de recréer la circulation que les gens puissent aller et venir, que les gens puissent effectivement enseigner, faire des recherches dans les conditions les meilleures en Afrique. Et généralement pour les structures universitaires, c’est beaucoup moins cher. Ils peuvent revenir au Sénégal, ils ont besoin probablement d’un logement pour certains, d’un petit perdiem à la place d’un salaire pour d’autres. On ne peut pas arrêter cela parce que cela fait partie du temps, du monde. Le temps du monde aujourd’hui surtout pour des intellectuels postule la circulation, l’engagement et la confrontation des idées en d’autres lieux. Cela peut bénéficier à l’Afrique si elle s’accroche à cette conversation globale qui est celle qui définie aujourd’hui le temps du monde. C’est tout à fait naturel.

Fils d'immigrés

Aux lendemains de la Seconde Guerre Mondiale, une grande vague d'immigrés Africains est arrivée en Europe dans le cadre de la reconstruction de celle-ci. Leurs enfants sont aujourd'hui des adultes et le débat sur leur intégration en Europe bat son plein sur ce continent. Après la reconstruction, l'immigration à continuer et a été constitué de plusieurs types différents, dont celui des étudiants étrangers qui parfois s'installent dans le pays d'accueil. Ce type là se retrouve en Amérique du Nord aussi et pour le moment, j'en fais parti. Nous sommes aujourd'hui nombreux à être dans la trentaine et la quarantaine, à avoir grandi en Afrique, à appartenir aujourd'hui à la diaspora africaine établie en Occident et à commencer à avoir des enfants. La même question qui se posait aux premiers immigrés des années 50, 60 et 70, se pose à nouveau à nous: quelle héritage transmettre à nos enfants ?

J'adore cette citation de Goethe: « Qui ne sait pas tirer les leçons de trois mille ans vit au jour le jour ». Ce qu'elle nous dit ici c'est que nous sommes mieux, en tant que nouveau membre de la diaspora, de tenir compte dans nos décisions de l'expérience de la génération d'immigrés précédente. Et une des choses principales que j'ai retenu, c'est la difficulté de se "fondre" dans la masse quand on est une "minorité visible" (visible à l'oeil nu, comme être Noir ou Asiatique par exemple).

Un ami me disait un jour qu'au Québec, les fils d'immigrés Italiens se sont très bien intégrés à leur nouvelle société d'accueil. Je lui ai répondu qu'en effet, il s'agit là d'un bel exemple d'intégration. Mais une chose est certaine, les fils d'immigrés Caribéens ou Africains ne pourront jamais s'intégrer aussi facilement pour une raison principale: quand on a des parents italiens mais qu'on est né au Québec, devenu adulte on est juste un blanc qui parle français avec l'accent Québécois et qu'on a du mal à distinguer du "Québécois de souche"; par contre quand on a des parents Caribéens ou Africains mais qu'on est né au Québec, devenu adulte on est un noir qui parle français avec l'accent Québécois et à qui on demandera régulièrement de quelle partie des Caraïbes ou de l'Afrique il est originaire. Et c'est compréhensible: en apparence comme cela, à première vue, à qui cette personne ressemble le plus: à l'étudiant étranger fraîchement arrivé du Sénégal ou au Québécois de souche ? Et à force de se sentir différent dans le regard des autres à cause de la couleur de sa peau, on arrive à se questionner sur cette différence et à se tourner vers ces origines dont on nous parle tant. Je ne parle même pas de racisme, l'autre peut trouver notre différence intéressante, enrichissante, le point est qu'il nous voit différemment. C'est un fait, aucun blanc ne peut voir un noir en Occident et dire qu'il n'a pas noté ce "détail" et vice-versa: au retour de son premier voyage en Afrique, une amie Québécoise m'a serré dans ses bras en me disant qu'elle sait maintenant ce que c'était d'être une minorité visible dans un pays - c'était comme s'il y était écrit "colon" sur son front quand elle marchait dans les rues de Nairobi...

Je connais moi-même le Sénégal et l'Afrique en général beaucoup mieux aujourd'hui que lorsque j'y vivais parce que le fait de vivre ailleurs accentue les traits de ma culture d'origine. Une manière de pensée, de voir, ou d'agir que je trouvais naturelle et normale avant devient ici caractéristique. Du coup, je me questionne sur la raison profonde (sociologique) pour laquelle je pense, je vois ou j'agis de cette manière, ce que je n'aurai jamais fait avant. Si moi qui ai grandi au Sénégal, je creuse constamment dans la culture sénégalaise, ne serait-ce que parce que l'autre trouve que j'ai des choses enrichissantes à offrir (quand on ressent de la discrimination ou du racisme on creuse encore plus), que pense-t-on qu'il en sera du fils d'immigrés noir en Occident ? Il creusera encore plus. Alors autant lui transmettre le maximum en ce qui concerne sa culture d'origine (ou si on préfère la culture de ses parents) pour l'aider à la tâche. C'est que je crois.

Un dossier intéressant sur les fils d'immigrés d'Europe sur Alternatives Internationales. Bonne lecture !

La deuxième génération bouscule l'Europe

Discriminations, exclusion, harcèlement policier: la révolte des enfants d'immigrés contre les sociétés où ils sont nés pose un défi au Vieux Continent. Devenu multiculturel, il doit inventer un nouveau contrat social. D'urgence.

samedi 16 mai 2009

Aider: l'ambition la plus difficile à atteindre vu nos limites en matière d'altruisme

Ça a commencé avec "The Shawshank Redemption". J'ai vraiment beaucoup apprécié ce film qui traite de la réhabilitation des prisonniers une fois libérés, notamment le cas des jeunes adultes adultes condamnés à des décennies d'enfermement, qui subissent toutes les sortes d'abus dans ces lieux et qui sortent de là âgés de soixante ans et plus... Ensuite j'ai lu un petit article sur les effets de la crise économique sur les prisons. Puis hier, j'ai vu à la télé le film "Boy A", l'histoire (inspirée d'un fait divers en Angleterre) de deux garçons de dix qui ont évolué dans un environnement de la pire violence, c'est-à-dire celle qu'on n'entend pas, qui se passe dans l'intimité des foyers et que le reste de la société ignore. Alors ces deux garçons ont commis un crime et ont été puni par la loi pour ça: 14 ans d'enfermement. Sorti de là à l'âge de 24 ans, l'un deux tente de se refaire une nouvelle vie incognito dans une petite ville, avec un petit boulot et une gentille petite amie. Malheureusement, il était écrit que son passé le rattraperait par une fatale succession d'évènements et l'histoire finie assez douloureusement.

J'ai donc ensuite ce matin une recherche d'articles sur les prisons en général et le texte qui décrit le mieux mes questionnements est celui-ci, qui questionne l'utilité des prisons de la façon dont elles sont structurés aujourd'hui. Voici le lien:

http://www.acontresens.com/contrepoints/societe/38.html

Extraits:

Le perpétuel échec de la prison

[...]

Le perpétuel échec de la prison

[...] La prison trouve une forme de légitimité dans la fonction sociale qu’on lui prête : elle aiderait, dans une représentation quelque peu pastorale, ceux qui se sont égarés à retrouver le droit chemin. La prison tirerait son utilité de son rôle de « réhabilitation » et de « resocialisation ». Le/la détenu-e pourrait donc théoriquement redevenir un-e citoyen-ne de la société après avoir « payé sa dette » et « réappris » les règles qui régissent la vie en commun.

Cette institution d’orthopédie du corps social est cependant tout sauf une machine à « guérir » : aujourd’hui en France – ce chiffre est celui, officiel, de l’administration pénitentiaire – un-e détenu-e se suicide tous les trois jours (ce taux est parmi les plus élevés du monde, et il nous laisse estimer le nombre des tentatives qui n’aboutissent pas). Les pathologies psychiques résultant de la détention sont extrêmement nombreuses et personne n’ose plus affirmer que la prison aide d’une part à « aller mieux », d’autre part à se « réhabiliter ». « Certains s'en tirent ? Oui, comme d'un cancer du foie. On est tenté de croire alors au miracle », écrit Catherine Baker dans Pourquoi faudrait-il punir ? (2004). Les témoignages de détenu-e-s laissent également peu d’illusions : « On vit dans un manque perpétuel. Si l’enfer existe, il doit ressembler à cela » . Personne ne peut plus même feindre de croire que les passages à tabac, les privations, le froid, la solitude, l’absence d’intimité, aident à une quelconque « resocialisation » . Pas de miracle : personne ne « s’améliore » à trois dans une cellule de 9m².

Et que penser de la « resocialisation » de personnes qui ne sont pas encore considérées comme « désocialisées », c’est-à-dire qui ne sont pas encore condamnées ? Elles représentent 35% de la population carcérale en France: 35% des détenu-e-s sont littéralement enfermées pour RIEN, en attente de leur jugement. Ces accusé-e-s sont ensuite la plupart du temps condamné-e-s : libérer ces personnes serait apparemment un aveu trop criant de l’absurdité de la situation. Le jugement constitue a posteriori une légitimation du temps de détention déjà effectué.

On dit aussi que la prison a un effet curatif : les anciens détenus seraient « réintégrés » à la société, « éduqués » et à nouveau « normaux », leur « pathologie sociale » serait définitivement soignée. À l’opposé de cette vision des choses, nous devons constater que les ex détenus reviennent fréquemment à l’intérieur des prisons, et pas en qualité de visiteurs. Un surveillant de prison : «La réinsertion donne bonne conscience à certains. Pas à des gens comme moi, mais aux politiques. En maison d’arrêt c’est pareil. Combien j’en ai vu me dire, “chef, vous inquiétez pas, je reviendrai jamais !” et paf ! six mois après… ». Il est assez difficile d’estimer le taux de récidive (principalement en raison de la difficulté à établir une définition commune : parle-t-on de récidive uniquement lorsque le même délit ou crime est à nouveau commis ? Prend-on en compte les peines non privatives de liberté ?). Un chiffre peut cependant nous aider à évaluer la situation : 46% des ex détenu-e-s sont à nouveau condamné-e-s (pour un autre motif) et réincarcéré-e-s dans les cinq ans suivant leur libération. Ce constat empirique donne tout son sens à cette phrase de M. Foucault : « On dit que la prison fabrique des délinquants ; c’est vrai qu’elle reconduit presque fatalement devant les tribunaux ceux qui lui ont été confiés. » [...]

L’utilité économique de la prison

[...] La deuxième hypothèse de Loïc Wacquant me paraît beaucoup plus pertinente : la prison servirait à ajuster la population à une économie néo-libérale. Le but serait de remettre au travail les personnes qui rechignent à accepter une activité rémunérée dans des conditions dégradées et dégradantes. Et dans les faits « les anciens détenus ne peuvent guère prétendre qu’aux emplois dégradés en raison de leur statut judiciaire infamant ». On sait aussi très bien que pour bénéficier d’une libération conditionnelle, les détenus ont tout intérêt à présenter un contrat d’embauche (ou une promesse d’embauche). Illes sont ensuite placé-e-s sous le contrôle d’un juge d’application des peines, pour qui le facteur emploi est un critère décisif. Dans le système américain les détenus et les condamnés sont en général exclus du système de sécurité sociale (sur le principe : un manquement à la loi conduit à une suspension des droits sociaux. Les droits ne vont pas de soi, et doivent être mérités, ils ne sont que la contrepartie de devoirs). Pour toutes ces raisons il apparaît cohérent de voir la prison comme une institution-soutien à une politique d’ajustement de la population à la précarité.[...]

Utilité politique de la prison : diviser pour mieux régner

[...] La spécification des illégalismes suppose l’idée que le non respect de la loi serait réservé à une catégorie particulière. Une ligne hermétique est ainsi produite autour de la délinquance, ce milieu sombre et menaçant auquel il serait impossible de s’identifier. Les illégalismes, en portant atteinte à un système de lois bourgeoises (c’est-à-dire des lois qui favorisent la classe bourgeoise : le droit de propriété en est l’expression la plus éclatante) portent en eux (même si c’est rarement de façon intentionnelle) un potentiel politique de subversion. Selon Michel Foucault, après la Révolution Française (et après 1848 et 1870) une des grandes peurs de la bourgeoisie était l’émeute populaire. La prison serait alors devenue un moyen de briser les liens entre prolétariat et illégalisme. La prison mettrait de côté les individus potentiellement dangereux, afin qu’ils ne puissent servir de fers de lance pour des luttes sociales révolutionnaires. Il s’agirait de dresser une barrière étanche entre le prolétariat et ce que Michel Foucault nomme « la plèbe non prolétarisée » : « des institutions comme la police, la justice, le système pénal sont l’un des moyens qui sont utilisés pour approfondir sans cesse cette coupure dont le capitalisme a besoin ».

Cette séparation est partie prenante d’un processus de moralisation de la population : la propriété est inculquée comme valeur et le vol est en conséquence érigé en crime (la sympathie avec le voleur de pain doit être réduite à néant). C’est dans ce même mouvement qu’émerge le pacifisme à destination des classes populaires : l’idée que la violence est un monopole de l’État et qu’elle est réservée aux institutions responsables de l’État : « Quand on vous apprend à ne pas aimer la violence, à être pour la paix, à ne pas vouloir la vengeance, à préférer la justice à la lutte, on vous apprend quoi ? On vous apprend à préférer à la lutte sociale la justice bourgeoise ».

La prison produirait donc un discours implicite en direction du prolétariat : voulez-vous vraiment être apparentés à ce milieu répugnant de voleurs, de barbares sans morale, qui sont fainéants au travail pendant que vous vous tuez à la tâche ? Ces catégories et ces divisions artificielles produisent des inimitiés à l’intérieur d’une population qui souffre objectivement des mêmes conditions d’exploitation. Et l’invention de la catégorie de la délinquance joue également un rôle central dans l’acceptabilité de la surveillance et du contrôle. L’existence d’une population bouc émissaire permet et légitime un contrôle policier étendu : « Sans délinquance, pas de police. Qu’est-ce qui rend la présence policière, le contrôle policier tolérable pour la population, sinon la crainte du délinquant ? » [...]

jeudi 7 mai 2009

Le Wolofranglais

Lors de mon dernier séjour aux États-Unis, j'étais amusée par la manière de parler des sénégalais de là-bas. Comme en général leur langue maternelle est le wolof, qu'ils ont fait leurs études en français (la langue officielle du pays) et qu'ils vivent actuellement aux États-Unis, ils peuvent vous mettre dans une même phrase des mots des trois langues ! J'en parlais à un ami et j'avais appelé cela le "wofranglais", qui est typique de la diaspora sénégalaise vivant aux États-Unis. Puis j'ai été agréablement surprise de revoir un mot presque similaire utilisé dans la chronique de Amadou Guèye Ngom cette semaine pour décrire le même phénomène. Lui parle de "wolofranglais" !

Dans mes cours de français au lycée au Sénégal, il y avait un thème majeur qui revenait souvent dans la littérature africaine qu'on étudiait: quel avenir pour nos sociétés post-coloniales qui doivent juguler "entre tradition et modernité" ? À cette problématique s'est ajouté celle plus récente de l'immigration. Enfin, je vous laisse lire cette chronique, vous verrez vous-mêmes...

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Revoir ces critères…

Mon intention est bien d’aller d’une idée à l’autre sans lien apparent. Inutile d’ergoter là-dessus. « Chaque vieux matou broie sa tête de souris, comme il lui plaît. » dit-on chez nous. L’important est d’attraper le rongeur : « jàppal ! » Le comble serait de se laisser prendre la queue dans le piège destiné à la proiekaña gi rëccati nala... »

Ce n’est point hasard si je me sens des affinités électives et instinctives avec Souleymane Faye. Nous sommes deux petits laids, de teint noir. On est rétif au harnais et méfiant de l’Autorité qui tape d’abord et réfléchit ensuite. Nous avons le même âge et la même répulsion viscérale pour les larbins.

Apprends ! « Sëriñ bi baaxna xi kër gi- un précepteur maison, c’est utile. » Que les cancres se ressaisissent ! Ne serait-ce que pour savoir nommer, dans leurs langues nationales, les doigts de la main ou simplement les cinq sens. Je veux dire la vue, le toucher, l’ouïe, l’odorat, le goût. Oui, vous avez bien lu…

Une nation paye cher l’obstination à ses erreurs de jugement et de décision, avertit encore le chanteur-philosophe : « Yenn dëggër bopp yi jaay sa askan la… »

Au village on ne connaît que deux « doktoors » : l’un prend soin des humains, l’autre « wetarneer », des animaux. Ils exercent, chacun dans son domaine, sans porter ombrage aux « borom xam xam-détenteurs du savoir ancestral. C’est en ville que l’on trouve des docteurs en droit, linguistique, communication, etc. Les titulaires de ce titre prestigieux enseignent à l’université ou occupent le sommet de la hiérarchie professionnelle pour avoir étudié comme des forcenés pendant que d’autres buvaient du thé et se déboîtaient les hanches dans les Coladera et Foural-dansant. Ces « docteurs », éminences parfois prématurément grises sous le poids de leurs connaissances méritent leurs postes dans les cabinets ministériels. Mais, de grâce, n’en faisons pas des conseillers culturels. Ils ne parleront guère le même langage que les populations avec lesquelles ils sont censés conjuguer le Passé. D’où la nécessité de revoir la gestion des ressources humaines de notre pays. Que ce soit dans l’administration publique ou dans le secteur privé, nous avons adopté des systèmes de fonctionnement qui, parfois, n’ont rien à voir avec nos exigences de développement. La suggestion ne consisterait point à tordre les grilles de la fonction publique en abandonnant ces critères objectifs de recrutement que sont les diplômes. Disons qu’il ne serait pas saugrenu d’envisager une différente échelle de valeurs basée sur les connaissances orales. « -Xam sooga jëf mo gëna wóor-savoir avant d’entreprendre », redit Souleymane.

L’indépendance culturelle actionne tous les leviers d’émancipation d’un pays. A partir de cette logique, il est concevable, que dans un ministère chargé de la culture et des langues nationales, des dépositaires de valeurs traditionnelles authentiques comme Fallou Cissé de Radio Dunya soient chargés de mission. Ben Bass, son directeur, considère que le savoir-faire est plus sûr que le diplôme mën mën mo gëna wóor lijasa ». Le postulat fait recette dans cette radio station qui devrait inspirer le cabinet du nouveau ministre de la culture où les farouches secrétaires du prédécesseur traitaient les acteurs culturels traditionnels avec un injustifiable mépris.

Revenons à Jules Faye…

« Bo amee te xamulo

Ku joge ca all bi nëw jëriño

(De ton héritage abandonné

Se nourrit l’étranger)

Mais pourquoi donc me contraindrais-je à ces insipides traductions ? Et pour qui ? C’est comme si, inconsciemment, je me sentais redevable à ceux là dont j’emprunte la langue. N’est-ce point un signe d’inféodation intellectuelle ? Pourquoi les Occidentaux ne déploieraient-ils pas les mêmes efforts pour apprendre les langues de mon pays ? Des raisons commerciales, touristiques voire libidineuses devraient les y pousser.

Jurons de ne plus traduire ! Enfin… Teey lu leenBuguñu ngeen gaañu. »

Pour l’instant, « La Grève des Báttus » serait suicidaire. Donnons leur un ultimatum…Jusqu’à la nouvelle génération qui ne voudra plus parler « xamnga-youno-cetadir », la langue des Wolofranglais, quoi…

Aux nouveaux Pages du Royaume, bienvenue à la Cour mais teey lu leen…PrudenceGorgui kumu dogal tubéy, ngémb laa nga lay xaar-

A l’impossible traduction, nul n’est tenu. Retenez simplement que le cache-sexe de l’infortune remplace très vite le prêt-à-porter qu’offre Gorgui.

Interprète qui peut !

Ah ! J’oubliais…Selon des rumeurs généralement bien fondées, le Premier des Pages, en passation de service, aurait pris un vulgaire quidam pour Birago. Senghor ne lui aurait pas donné le temps d’étrenner son fauteuil « primatorial. »

Bien loin le temps où l’on testait les gardiens du Temple sur leurs humanités.


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Le premier commentaire de la chronique:


Par Fan de la chronique


J'en suis à ma première lecture, donc j'ai pas encore tout compris, mais j'y travaille. J'écris avant d'avoir terminé car je suis restée bloquée quand j'ai essayé de nommer mes cinq doigts en wolof, je n'ai pas su en nommer un seul quand aux 5 sens... Du coup quand j'ai vu que vous alliez peut être arrêter de traduire j'étais juste paniquée!

En général,je comprends le sens, la traduction me permet souvent de confirmer que j'ai bien compris.

C'est regrettable de ne pas maîtriser notre langue maternelle, mais pour la plus part, nous sommes des victimes de l'éducation et du cadre dans lequel nos parents nous ont fait évoluer. Maintenant qu'on est adulte, certains d'entre nous vivent à l'étranger donc difficile de s'améliorer. Je parle wolof à mes enfants, mais malheureusement, ils se retrouveront avec les mêmes limites que moi... Là encore je réfléchis encore à la solution.

Merci!

mercredi 6 mai 2009

De retour !

Bonjour tout le monde ! J'avais de la visite ces dernières semaines, raison pour laquelle ce blog a été quelque peu négligé, mais je suis de retour.

J'aimerai vous faire part d'une situation historique dans l'histoire politique du Sénégal: le Président Wade a procédé à un remaniement ministériel la semaine dernière, qui s'est achevé le samedi puis... le lundi 1er mai, jour férié car il s'agit de la fête du travail, notre Président a procédé au remaniement ministériel du remaniement ministériel durant lequel des nouveaux ministres ont été remplacé par les ministres précédents ! Qu'arrive-t-il à Wade, lui qui habituellement sait toujours quoi faire et avance avec tant de leadership ?

Pendant ce temps, les tensions sociales continuent avec la grève des enseignants du pays et les confrontations entre étudiants de l'Université Cheikh Anta Diop et les forces de l'ordre, et tout ceci sous fond de crise économique. Que le Bon Dieu protège mon cher Sénégal !

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REMANIEMENT DANS LE REMANIEMENT : Wade sait-il encore ce qu’il fait ?

On pensait la liste du gouvernement définitivement bouclée depuis samedi, et que Jules Ndéné allait mettre son gouvernement au travail. Eh bien non, c’est à un remaniement du remaniement que l’on a eu droit. Les rebondissements que l’on pensait jusqu’ici impensables, se sont produits. On ne s’étonne vraiment plus de rien dans ce pays. Ousmane Ngom a à nouveau "miné" son terrain, Abdoulaye Diop, après son coup de gueule, a pu sauver son « économie », bien que ses finances sont en voie de tarissement avancé. Abdoulaye faye, l’homme des investitures désastreuses est gracié. Et pour calmer le jeu avec Ousmane Masseck Ndiaye, le grand perdant de Saint-Louis, le Conseil économique et social lui est servi sur un plateau d’argent. Mame Birame Diouf assistera au fesman, non pas en spectateur, mais bien en tant qu’ acteur en chef, Wade lui a rendu son dû. Il devient ministre d’Etat en charge du festival.

Le plus malheureux en fait, dans toute cette histoire, c’est Ibrahima Cissé, ce ministre d’un week-end, qui a subi la pire des humiliations. Ministre d’un Week-end ! Que va-t-il raconter à tous ces sénégalais qui l’ont déjà félicité et à certains de ses proches qui pensent que devenir ministre est un ascenseur social certain ? Le second qui va sans doute s’ennuyer, c’est ce vétérinaire parachuté dans ce monde de la culture dont il ne connaît rien et qui pensait moins s’ennuyer grâce au Festival mondial des Arts nègres. Il se retrouve dépossédé de ce qui pouvait être intéressant et qui est le seul projet culturel du Sénégal, sous l’ère Wade.

Les sénégalais n’ont décidément pas de chance. Au vu du spectacle offert par ce remaniement dans un remaniement, l’on se demande si Wade maîtrise encore cet appareil du Pds, si difficile à gérer et à tenir. Les récentes investitures de la Coalition Sopi2009 ont révélé un désordre incroyable dans les rangs bleus. Si les finances sont gérées comme ce parti-état, rien d’étonnant que l’on se retrouve dans une situation de dénuement, tel qu’il faille vendre des bijoux qui ont pour nom, Sonatel. Ou alors qu’on arrive difficilement à payer une dette intérieure qui a fini de plomber le fonctionnement de beaucoup d’entreprises. Jamais le tâtonnement et le bricolage n’ont atteint de telles proportions !

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