jeudi 26 février 2009

Langue, culture, pensée

Chronique de Amadou Guèye Ngom qui revient sur une question fondamentale quand on parle d'avenir pour l'Afrique enfin véritablement libérée et définitivement décolonisée: quel sort réserverons-nous à nos langues nationales ? Des linguistes se battent pour les imposer dans les écoles primaires, la maîtrise de la langue maternelle pour un enfant en début d'apprentissage étant très importante. En effet, lorsqu'il apprend la grammaire pour la première fois de sa vie et que c'est avec une langue étrangère (qu'il ne parle pas à la maison), l'enfant apprend par répétition et intègre plus difficilement la structure des phrases. En Afrique francophone, des projets pilotes sont menés ici et là pour introduire les langues nationales dans les programmes scolaires, mais... il semble qu'arracher son indépendance officielle à l'Hexagone ait été la tâche la plus facile du processus de décolonisation. Pour l'indépendance culturelle, il va falloir plus de volonté.

Démagogie ou insouciance
Amadou Gueye NGOM Lundi 23 Fév 2009

« Dès que quelque chose est créée de par le monde, elle appartient à tout le monde. » -Iba Ndiaye, artiste peintre-

Démagogie ou insouciance

Les valeurs fondamentales d’un peuple meurent-elles jamais?

Elles peuvent s’assoupir, tomber dans un profond coma ou être momentanément troquées. Elles se re-saisissent, lorsque dictées par la prise de conscience, l’instinct de survie ou la révolte.

Devenue indépendante, l’Afrique de tradition orale s’est évertuée au mimétisme plutôt que de se restituer à elle-même comme l’y conviait le professeur Cheikh Anta Diop. Evidemment, nul n’est jamais prophète chez soi…Une triste illustration de cette vérité fut que Senghor bouda Cheikh Anta qui prêchait, entre autres vertus, la « Nécessité et possibilité d’un enseignement dans la langue maternelle en Afrique ». Sédar avait pris le parti de célébrer, avec un joyeux paradoxe, les travaux de l’ethnologue français Marcel Griaule qui soutenait que les mathématiques et l’astronomie, inventions nègres sont encore présentes chez les Dogons auprès desquels des chercheurs occidentaux viennent s’abreuver. Tout comme leurs ancêtres au contact des Egyptiens, il y a trois mille ans.

« Il s’agit moins pour l’Afrique de se survivre que de se réinventer » disait feu Iba Ndiaye

Si, à l’instar des peuples qui mènent le monde, nous autres Sahéliens avions eu la volonté politique de systématiser l’enseignement de nos langues, véhicules du savoir ancestral, nos brevets d’invention rivaliseraient avec ceux des maîtres de l’univers.

Songez que grâce au trait (écriture, dessin) la notion du cercle s’est concrétisée par le cerceau de l’enfant, la roue des engins de trait, de la bicyclette et tant d’autres applications.

Aussi longtemps que nous céderons à la facilité de la consommation plutôt que d’exhumer et transcrire nos langues pour en faire des outils de production, long sera le tunnel de l’errance et de plus en plus subtils seront les arguments du génocide culturel.

Qu’il s’agisse d’agriculture, d’éducation, d’économie, de santé, tous nos modes d’existence et fonctionnement sont calqués sur ceux de l’Occident sans que cela nous émeuve outre mesure. Nul ne semble convaincu que le développement n’est pas une manne du ciel mais la perpétuation sans fin d’un long processus qui prend racine sur des acquis. On se laisse subjuguer par les inventions de l’autre au lieu d’être torturé par l’inquiétude questionneuse de la souveraineté. A cela s’ajoute la peur d’affronter l’inconnu. Dans notre propre environnement, les serpents dont le simple aperçu nous glace d’effroi sont saisis, étudiés par ceux qui reviendront nous en vendre le sérum anti venimeux. -« Ils n’ont pas faim, ces toubabs… Et puis ils ont le temps » réagit-on…Diable! Celui là même auquel on n’assimile le reptile.

Le plus grave est de se claquemurer dans des salons mondains puis, au nom d’un déterminisme claudicant, postuler un lien de causalité entre rigueur climatique et avancée technologique. Car il arrive que le froid encourage à se terrer et s’encenser

L’Enfer est intenable mais j’ai ouï dire que l’on s’y démène dans tous les sens pour en sortir. Les fourmis de l’Afrique du Sud s’en sauvent...

Esclavage, colonisation ne devraient plus servir d’excuses.

L’Ecriture sauve-t-elle du désespoir?

Les Japonais auraient pu ne jamais cesser de gémir sur Hiroshima, Nagasaki et céder à la fatalité de ne pas avoir de ces ressources minières dont l’Afrique est pleine à craquer. L’holocauste non plus n’a pas incinéré la pugnacité juive qui contrôle une bonne partie de l’économie mondiale.

Démagogie, ruse avec l’en soi conduisent également à ne pas se donner le temps de prendre le temps d’aller au-delà des facultés physiques et mentales. En sport comme en matière de gouvernance, 60% de travail suffisent. Le marabout « Yal na fi yàgg »- comblera le déficit. Inch’Allah! Les cours « serigneurales » servent de rampes de lancement aux candides et niches de rédemption aux damnés.

Nous autres Africains vivant Outre Mer enseignons aux petits blancs des lycées et universités l’héritage des leurs et même les nouvelles technologies qui feront d’eux les producteurs d’une civilisation que contempleront et consommeront les nôtres. Hélas!

Pendant que nous éreintons nos enfants à étudier maths, sciences, histoire, géographie et même les disciplines sportives en langue étrangère, les mômes des pays émancipés foncent avec les cornes et dents de leur naissance.

Une langue étrangère, outre qu’elle aliène, à un certain niveau, exige un long apprentissage. Le jeu en vaudrait peut -être la chandelle si nos langues nationales n’en faisaient pas les frais. Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter nos bulletins d’informations en langues dites nationales, de jeter un coup d’œil sur l’orthographe anarchique des panneaux publicitaires, des titres d’émissions radiotélévisées. Autant d’insouciances qui s’incrustent dans la mémoire graphique et visuelle pour perpétuer le massacre de nos langues nationales, si l’on y prend garde. Le vocabulaire citadin s’étiole pour se réduire à de redondantes vulgarités du genre «defar bam baax », « moo ko yor », « tabax bam kowe » que je ne m’humilierai pas à traduire aux non sénégalais.

On se berce d’illusions tout en se laissant berner par les démagogues qui font croire que le pays se développe à coups de gadgets électroniques, de belles villas qui poussent partout, des voitures de luxe qui s’esquintent dans les nids de poules et sur les bosses de chameau que chaque quartier s’autorise à fomenter en ciment ,contre l’arrogante attitude des automobilistes.

On se développe? Bah oui…La preuve, le budget national de mille milliards sous Ndiol a presque triplé avec Ndiombor.

De quoi pousser des pustules de rage-« Mer ba futt»

Amadou Gueye Ngom

Critique social

6 commentaires:

GANGOUEUS a dit...

C'est un vrai débat. La question des langues nationales en Afrique. Un vrai problème.

En me baladant sur l'agrégateur de blog sud-africain Afrigator, je suis toujours stupéfait par les blogueurs tanzaniens. La majorité de leurs blogs est tenue en swahili. On retrouve un peu cette démarche chez les malgaches dont certains tiennent leur blog en mérina. Il n'y a rien de surprenant à cela quand on sait que le merina est une langue enseignée à la même enseigne que le français dans les lycées malgaches.

L'auteur de l'article n'a pas pris le soin de définir ce qu'il entend par "langue nationale". J'ai même songé à un amalgame avec les langues maternelles qui en Afrique centrale représentent les langues ethniques. Qu'est-ce qu'une langue nationale, une langue véhiculaire, une vernaculaire, une langue ethnique, un dialecte?

S'il n'y a pas consensus sur une langue dite nationale, comment pourra-t-on l'enseigner sans accentuer le mécontentement de ceux qui ne se reconnaissent pas en cette langue. A Madagascar, les populations côtieres d'essence bantoue sont les premières à défendre la francophonie à cause de cette rupture culturelle avec les mérinas du plateau.

On ne peut aborder la question de l'enseignement des langues nationales sans répondre à la question de ce que représente cette langue pour chacun. De plus, la nature du pays concerné est intéressante : suivant qu'il soit un état fédéral ou hautement centralisé.

Enfin, cela a un coût. Surtout si c'est l'éducation nationale qui s'en charge. La formation des enseignants, le développement de la recherche en linguistique, le matériel didactique, tout cela pour quelle finalité? Le savoir scientifique est en anglais, la langue de communication courante en Francophonie est le français, la langue du savoir traditionnelle dépend de nos origines.

Notre posture ne doit pas être idéologique. Rien ne garantit qu'un enfant qui écrit en swahili sera plus proche de sa culture. Je pense qu'il faut plutôt établir des ponts entre les détenteurs du savoir traditionnel et les modernes, transcodifier ce savoir et le transmettre de manière intelligente aux élèves...

Je n'ai pas de position, je me pose juste des questions...
@ suivre

Ndack a dit...

Gangoeus,

En effet, l'analyse de Mr Ngom est plus un questionnement et ne donne pas plus de précision sur la méthodologie à suivre pour régler le problème. Moi par contre, je ne me questionne plus, j'ai été convaincue par un expert qui a beaucoup travaillé là-dessus et avec qui j'ai pas mal échangé lorsqu'il était professeur invité au Québec c'est Mr Nazam Halaoui.

Il y a trois articles de lui que j'ai rapidement trouvé sur le net et que tu pourrais parcourir pour te faire une idée.

Celui-ci
http://www.adeanet.org/adeaPortal/adea/biennial2003/papers/5A_Nazam_ENG_final.pdf

Celui-ci:
http://www.teluq.uquebec.ca/diverscite/SecArtic/Arts/96/06anh0/06anh0_ftxt.htm

Et celui-là:
http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=DRS&ID_NUMPUBLIE=DRS_051&ID_ARTICLE=DRS_051_0345

Tu verras que la posture n'est pas idéologique mais qu'en fait la dictature linguistique qu'une communauté subit crée en amont beaucoup d'autres problèmes, la langue étant une part très importante du socle qu'est la culture.

Et la définition que les linguistes ont de la langue nationale africaine est, je pense, une langue ethnique, celle qu'on parle dans le village, la langue maternelle. Mais langue, pas dialecte. En Afrique du Nord par exemple, il y a plusieurs dialectes de l'arabe, mais les petits apprennent à l'école primaire l'arabe classique. Il doit y avoir aussi plusieurs dialectes pulaar chez les Peulh, mais leurs racines est une seule langue classique qui pourrait être enseignée à l'école.

À suivre !

GANGOUEUS a dit...

Chère Ndack,

Je reviendrai dès que possible sur le sujet en cours.

Permets moi de te glisser cet article intéressant pêché sur Websenegal.com :
http://www.websenegal.com/Nouvelles/news/news_item.asp?NewsID=2129

Il s'agit d'une petite polémique sur le passé maçonnique de Maître Wade que certains responsables de la confrérie des Mourides lui reproche... En lisant cet article, j'ai songé à l'échange que nous avons précédemment eu sur les élites africaines. Je suis curieux d'avoir ton opinion, d'autant que tu maîtrises mieux que moi le contexte sénégalais et peut-être que des subtilités m'ont échappées.

Gangoueus

Ndack a dit...

Cher Gangoueus,

Le passé (et encore présent ?) franc-maçonnique du Président Wade a en effet fait couler beaucoup d'encre il y a quelques semaines.

Pour mieux comprendre ce qui s'est passé avec Touba, la capitale du mouridisme, il faut tenir compte de l'histoire de cette ville sainte, sa résistance sans faille face au colonisateur (les enfants de la ville allaient rarement à l'école française et plutôt à l'école coranique, pour tard faire des études en lettres classique (en arabe), analyser le Coran, parcourir l'histoire du monde, etc.), et bien sûr il faut tenir compte de son statut de territoire autonome.

Voir: http://fr.wikipedia.org/wiki/Touba_(S%C3%A9n%C3%A9gal)

Et surtout: http://fr.wikipedia.org/wiki/Ahmadou_Bamba

Ce statut très important de la ville fondée par le guide spirituel Cheikh Ahmadou Bamba et l'allégeance que des centaines de milliers de fidèles (donc centaines de milliers d'électeurs...) font au guide spirituel et à sa descendance, a toujours obligé les dirigeants du Sénégal a tenir compte de la voix de Touba. Le Président Abdoulaye Wade ne fait pas exception à la règle. Et la particularité avec Wade c'est qu'il est lui-même mouride, donc il a dû porter allégeance au Khalif de Touba alors que Senghor était chrétien et que Diouf était musulman mais pas mouride.

Voir: http://www.apanews.net/apa.php?article88894

Je ne sais pas réellement ce qu'est être franc-maçon, mais je sais qu'au Sénégal ce n'est pas compatible avec être musulman. Le premier franc-maçon célèbre au Sénégal est le premier député du pays Blaise Diagne, qui n'a d'ailleurs pas été enterré dans un cimetière musulman à cause de sa participation à cette organisation.

Voir: http://fr.wikipedia.org/wiki/Blaise_Diagne

Voilà pourquoi cette sortie du Président Wade sur son passé franc-maçonnique a autant fait parlé: il représente une institution dans un pays où semble-t-il il n'y a pas de séparation entre la Mosquée et l'État !

GANGOUEUS a dit...

Ta réponse m'a échappée, chère Ndack.

Comme toi, je ne sais pas grand chose au fonctionnement de cette structure, mais en grandes lignes on pourrait dire qu'il s'agit de réseau élitiste très proches des instances de décision, dont les ficelles sont tirées en Occident.

Pour ce qui concerne le Congo-Brazzaville, tout passe par le réseau maçonnique pour faire quelque chose de significatif dans ce pays.

Ce qui m'intéresse dans cette histoire avec Wade, ce n'est pas tant la franc-maçonnerie et son fonctionnement, mais plutôt la réaction d'une élite, d'un réseau interne au Sénégal et la dénonciation de l'ambivalence de nos élites formées en Occident.

Tu fais bien de souligner le passé de résistance de Touba à la pénétration coloniale. L'exil de Cheikh Amadou Bamba au Gabon fait écho à celui de Samory Touré (le guerrier), d'André Grenard Matsoua ou mieux l'enfermement de Toussaint Louverture en Franche-Comté.

La posture de funambule d'un Wade entre son inclinaison vis-à-vis de l'Elysée et sa dépendance à l'endroit des autorités spirituelles de Touba est très intéressante. Les leaders mourides ont le mérite de le mettre face à un choix...

Ndack a dit...

Cher Gangoueus,

Effectivement, il y a un choix à faire au niveau du pouvoir officiel et comme tu dis, l'élite religieuse a le mérite de forcer ce choix.

Eh oui, à un moment donné au Sénégal toute situation importante passaient par trois lectures, ce qui rend l'analyse difficile: une traditionnelle, une religieuse et une officielle synonyme d'occidentale. Les chefs religieux (musulmans et chrétiens) ont réussi la symbiose du traditionnel et du religieux. Depuis, nous sommes passés à deux lectures. Reste donc le défi de la symbiose avec le meilleure de la culture occidentale - cela prendra plusieurs des décennies, mais je crois bien que nous sommes sur le bon chemin. Je suis très optimiste là-dessus.