mercredi 15 avril 2009

Nous serions complètement à côté de la plaque !

Voici un texte d'opinion qui prône une approche qui fait de plus en plus parler d'elle, à savoir prendre le capitalisme comme un tout, avec ses expansions et ses récessions, au lieu de s'aventurer dans les approches mixtes comme nous le faisons actuellement. En effet, il est légitime de se demander si nous ne sommes pas entrain d'exiger le beurre et l'argent du beurre... Ce débat vieux de 80 ans au moins entre l'approche classique et l'approche keynésienne est encore ouvert.

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De la bouche du gourou
Le Journal de Montréal, p. 29 Nathalie Elgrably-Lévy, 26 mars 2009

Cela fait déjà quelques semaines que j’ai envie de vous parler de l’Australie, mais ce n’est ni pour ses marsupiaux ni pour son célèbre Opéra. C’est plutôt parce que nous aurions intérêt à tirer quelques enseignements économiques de son histoire.

À l’instar de nombreux pays, l’Australie n’a pas échappé à la Grande Dépression. Mais le défi que cette île du bout du monde devait relever était d’autant plus considérable qu’elle était relativement désavantagée: elle était peu peuplée; son économie, relativement petite, reposait sur l’agriculture et les exportations minières; sa base industrielle était limitée; les investissements manquaient et, pour couronner le tout, les grèves étaient très fréquentes.

Mais, contre vents et marées, l’Australie réussit à se sortir de la Dépression plus rapidement que les États-Unis. Ainsi, en 1932, les taux de chômage aux États-unis et en Australie étaient respectivement de 23,6% et de 23%. En 1938, il atteignait encore 19% chez l’Oncle Sam, mais avait diminué à 8,9% au pays des kangourous.

L’Australie avait-elle accompli cet exploit grâce à un plan de relance encore plus ambitieux que le New Deal? Avait-elle généreusement aidé les entreprises en difficulté? Sa Banque Centrale avait-elle injecté d’importantes quantités de monnaie? Non! Rien de tout cela. Exception faite de dépenses minimes en infrastructures, l’Australie n’avait aucun plan de relance d’inspiration keynésienne, aucun plan de sauvetage, aucun budget de crise.

En revanche, le gouvernement de Canberra adopta le «Premiers’ Plan» dès 1931, par lequel il s’engageait à réduire les dépenses gouvernementales de 20%, y compris les dépenses militaires, à maintenir l’équilibre budgétaire, et à réduire aussi bien les salaires des travailleurs du secteur public que ceux du secteur privé.

Ces mesures, aux antipodes de l’interventionnisme que J. M. Keynes prônait alors, n’étaient pas le produit des délirantes élucubrations du premier ministre australien, James Scullin. Elles n’étaient que la concrétisation des bonnes vieilles théories économiques classiques selon lesquelles, comme l’exige le gros bon sens, un pays doit réduire sa consommation, épargner, investir et être plus productif s’il veut prospérer.

Presque huit décennies plus tard, l’héritage de Keynes domine encore l’économie politique. Faisant fi des enseignements de l’histoire, politiciens et commentateurs restent convaincus de la nécessité de dépenser massivement et de générer un déficit pour stimuler l’économie.

Exception faite du Nouveau-Brunswick qui a récemment annoncé d’importantes compressions de la fonction publique et un allégement du fardeau fiscal des contribuables et des entreprises, le reste du monde semble vouloir imiter, à divers degrés, les initiatives keynésiennes de Washington.

Au Québec, la ministre des Finances, madame Monique Jérôme-Forget, a fait également référence à J.M. Keynes pour justifier son dernier budget. Manifestement, le célèbre économiste britannique est devenu le gourou de la plupart des décideurs publics dont le comportement moutonnier n’a d’égal que leur manque de culture économique.

Pourtant, s’ils se donnaient la peine de se renseigner convenablement, ils apprendraient que les déficits, même s’ils sont suivis d’un retour à l’équilibre budgétaire, ne sont pas une panacée. Bien au contraire! Ils réaliseraient également que la pensée keynésienne qu’ils vénèrent tant a été totalement discréditée entre autres par Friedrich Hayek, récipiendaire du prix Nobel d’économie de 1974.

Mais surtout, ils découvriraient que, dans un article posthume, publié en 1946 dans le Economic Journal, Keynes lui-même admet avoir eu tort de dédaigner la pensée de l’école classique qu’il juge finalement empreinte d’une grande vérité. Ces politiciens qui veulent paraitre instruits en invoquant la pensée de Keynes auraient vraiment intérêt à lire ses écrits plutôt qu’à répéter ce que certains leur soufflent!

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l'Institut économique de Montréal.

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

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Un autre texte plus récent:


Empire ou république de bananes?
Le Journal de Montréal, p. 23 Nathalie Elgrably-Lévy, 02 avril 2009

On a vivement dénoncé les primes de 165 millions $US versées par AIG à ses dirigeants, et on a amplement discouru sur la rémunération des chefs d’entreprises.

Certes, employer l’argent des contribuables pour récompenser les cadres d’une entreprise en difficulté est inqualifiable et impardonnable.

Mais pendant que toute notre attention était tournée vers le mélodrame politique dont Washington était le théâtre, une décision infiniment plus grave et plus lourde de conséquences a été prise.

Depuis dix jours, on se laisse distraire par un scandale alimenté et amplifié par le Congrès, alors que nos yeux devraient être rivés sur la Fed.

On consacre les manchettes au manque d’éthique d’AIG, mais ce sont les actions des autorités monétaires américaines qu’on devrait violemment dénoncer.

En effet, personne n’a sourcillé quand, le 19 mars dernier, la Fed a annoncé qu’elle injectera 1200 milliards supplémentaires.

Pourtant, en dépensant 1$ à la seconde, il faudrait 5,2 années pour atteindre 165 millions, mais 37 800 ans pour arriver à 1200 milliards. Mis en perspective, les bonis d’AIG, c’est un grain de sable dans le désert!

En pratique, la Fed va tout simplement imprimer le montant annoncé.

En novembre dernier, j’avais déjà exprimé ma crainte de voire la Réserve fédérale recourir à la planche à billets comme mode de financement, car cette méthode génère invariablement de l’inflation.

Aujourd’hui, quand on ajoute à la récente annonce tous les plans de relance et de sauvetage adoptés au cours des derniers mois, l’inflation n’est plus une inquiétude, c’est une certitude absolue.

Et devant l’ampleur de la monétisation, la dévaluation de la monnaie sera énorme, et on ne peut exclure la possibilité d’une hyperinflation digne du Zimbabwe d’aujourd’hui ou de l’Allemagne des années 1930.

D’ailleurs, tous les pays qui ont imprimé de l’argent pour honorer leurs engagements ont occasionné une inflation dévastatrice, et ont dû subir les conséquences sociales désastreuses qu’elle implique.

Ils ont appris, de la manière la plus douloureuse possible, qu’on ne règle pas un problème structurel en imprimant de l’argent. Alors, pourquoi Washington et la Fed empruntent-ils cette avenue?

Comme ils n’ignorent certainement pas les conséquences de leur geste, il faut en conclure qu’ils agissent sciemment.

Notons que la dette américaine représente aujourd’hui plus de 360% du PIB, sans compter le régime public de retraite, le Médicaire, et la sécurité sociale.

Techniquement, le gouvernement américain est en faillite. Il lui est impossible de rembourser ses créanciers.

Or, l’inflation avantage toujours les emprunteurs, car elle diminue la valeur réelle des montants remboursés. Ainsi, la dette colossale d’aujourd’hui apparaîtra insignifiante lorsque, «grâce» à la Fed, le billet vert ne vaudra plus que quelques sous.

Mais si l’inflation allège la dette de Washington, elle appauvrit tous ceux qui, à force d’efforts et de sacrifices, ont amassé quelques épargnes.

Elle réduit le niveau de vie de tous les baby boomers qui, à l’aube de la retraite, comptent sur leurs bas de laine. En peu de temps, l’inflation peut dilapider les économies de toute une vie.

L’inflation, c’est un spectaculaire hold-up perpétré par la banque centrale. Et comme le dollar américain est la monnaie de référence, personne ne sera épargné. Voilà qui est bien plus scandaleux qui les bonis d’AIG!

Obama a hérité d’une crise économique, j’en conviens. Mais lui seul est responsable des décisions prises depuis janvier, et du vandalisme économique que subit l’Amérique.

On a dit que l’élection d’Obama est historique. C’est vrai! C’est sous sa présidence que l’empire américain deviendra une république de bananes!

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l'Institut économique de Montréal.

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

2 commentaires:

Rey Feliz a dit...

Ça c'est dur... De déjà lire "que l’élection d’Obama est historique. C’est vrai! C’est sous sa présidence que l’empire américain deviendra une république de bananes" alors qu'on n'est qu'en avril (Obama a passé à peine 4 mois à la maison blanche) c'est franchement douloureux, même si on savait dès le départ que ses chances de succès étaient minces. L'histoire risque de se rappeler moins des circonstances dans lesquelles il a évolué que du fait que c'est le premier président noir des USA, alors échouer signifie plus de mal que de bien à la communauté noire. Mais bref, "comme on fait son lit, on se couche."

Il n'y a pas que de leur passé récent que Washington et la Fed peuvent tirer des leçons, mais des évènements contemporains que Washington critique, comme la situation au Zimbabwé telle qu'illustrée sur Facebook:
http://www.facebook.com/note.php?note_id=66005603309.

Drôle de vie!

Très interessant point de vue. Autre perspective -plutôt enfantine, mais je ne peux pas résister- au lieu de rester loin et de critiquer, pourquoi Elgrably-Lévy ne va-t-elle pas conseiller Obama, ou lui écrire une lettre ouverte? Car après tout, c'est toutes les économies du monde qui vont s'écraser et on sera tous touchés. Mais bon.

Ndack a dit...

Tu vas rire, j'ai ajouté le deuxième texte parce que je savais que cela allait titiller quelqu'un ! En effet, Mme Elgrably-Lévy y va d'une plume légérement "épicée". Mais je ne sais pas si les dirigeants sont si aveugles que cela, si c'est une question d'idéologie (car notons qu'on passage que c'était Bush en premier qui demandait sans relâche aux membres du Congrès de faire passer le sauvetage du secteur financier à coût de milliards - eh oui, un républicain pur et dur - et c'est ce qui s'est passé avant les élections - donc sur ce plan là en fait Obama semble continuer ce que son prédécesseur a commencé et ceux que les autres gouvernements occidentaux font eux aussi), ou si ce sont les populations elles-mêmes qui réagissent mal si jamais les politiques n'agissent pas de façon grandiose en temps de crise et les politiques alors suivent... et agissent même quand, selon Mme Elgrably-Lévy, la solution serait de plutôt moins en faire (diminuer les salaires même dans le privé, réduire ses dépenses, etc.).