mardi 15 septembre 2009

États-Unis: l'Inévitable Débat

US president Barack Obama: has he gone back on pledges made to black
America? Photograph: Michael Reynolds/EPA


Wow... Je n'ai jamais autant lu dans la presse américaine d'articles sur la question raciale que ces derniers jours. Cela avait déjà commencé en juillet dernier par cet article du New York Times "Job Losses Show Wider Racial Gap in New York", sur l'écart de plus en plus important entre le pourcentage de chômeurs noirs et le pourcentage de chômeurs blancs aux États-Unis, notamment à New York. Puis, depuis quelques jours, cela s'est intensifié. D'abord l'article de Maureen Down, "Boy, Oh, Boy", est parti de la sortie remarqué du congressman Joe Wilson qui a crié "You lie !" à son président, pour ensuite exprimer tout haut ce que beaucoup d'internautes pensent semble-t-il tout bas, à savoir que le racisme est encore intense dans cet immense pays (voir les quelques 840 commentaires). Maureen a donc ouvert les vannes le 12 septembre dernier, et voici une synthèse des réactions sur de journalistes et bloggeurs dans le texte du Opinionator (ici Eric Etheridge) intitulé "Is It Because He's Black ?".

Mais dans tout ceci, j'attendais toujours l'article d'un journaliste qui va dire tout haut ce que beaucoup de noirs doivent penser tout bas (je ne vais pas faire semblant que je n'en fais pas parti). Je l'ai finalement trouvé, il s'agit de l'article de Naomi Klein et il s'intitule "Obama big silence: The race question".

Car enfin, Obama nous parle de son métissage, demande en gros au jeunes noirs américains de ne regarder que l'avenir et de travailler; ensuite il va en Afrique, au Ghana, nous parle de son père Kenyan, dit aux présidents africains qu'ils ont intérêt à être de grands démocrates, et répète aux jeunes africains ce qu'il a dit aux jeunes noirs américains, etc. Je suis bien d'accord avec tout ça, mais je ne peux pas m'arrêter à ça et applaudir, il y a des omissions qui sont quand même notables et qui me dérangent. Pendant ce temps, à cause de la crise, le pourcentage de chômeurs noirs est aujourd'hui encore beaucoup plus élevé que celui des chômeurs blancs; c'est un ministre des affaires étrangères français qui donne son avis dans la presse sur le degré de liberté des élections d'un pays africain comme le Gabon même si une partie de la population n'est pas d'accord (voir ici), etc. Moi je veux bien qu'on parle moins (personnellement j'en parlerais jusqu'à mon dernier souffle pour le devoir de mémoire) de l'esclavage, de la colonisation et de la néo-colonisation. Et je suis aussi d'accord que l'avenir (et même le présent...) de l'Afrique est entre les mains des Africains - sauf que j'ajoute que ces derniers le savent depuis toujours puisqu'ils se débrouillent bien pour vivre ou survivre, ils n'ont pas besoin qu'un président étranger le leur dise (j'en ai parlé ici). Donc je suis d'accord avec tout cela, partage des responsabilités et tout et tout. MAIS, de là à faire table rase, et faire comme si les problèmes d'aujourd'hui n'ont pas du tout des racines dans nos activités d'hier... Tant que tous les abscès n'auront pas crevé et que les uns et les autres n'auront pas assumé complètement leur histoire tout entière - pas seulement l'histoire officielle mais aussi la populaire - eh ben on n'ira nulle part.

Obama a aujourd'hui le choix entre rester dans l'Histoire comme un homme politique tout court ou rester dans l'Histoire comme un défenseur de l'égalité des hommes. Il a le droit de choisir la première option et à aucun moment il n'a promis qu'il penchera pour la seconde (il n'a jamais dit "Yes I will", mais bien "Yes we can", formule démagogique par définition puisqu'évidemment nous pouvons tout faire, même être les maîtres de l'univers si nous le souhaitons et si nous nous donnons quelques milliards d'années). D'ici là, je trouve abusives les comparaisons du 5 novembre à Martin Luther King, Nelson Mandela, et autres grandes figures mythiques de la lutte contre les inégalités raciales.

Dans tout ça, quelle est mon opinion ? Je trouve qu'Obama est un homme politique doué, voir surdoué, il a des valeurs en matière de politique intérieure qui sont proches des miennes, son parcours est intéressant à suivre. Bon, il y a le fait que les fondements institutionnels des États-Unis sont tellement forts que leur président n'a pas tant de pouvoir que ça, mais Obama essaie d'atteindre ses objectifs avec les moyens dont il dispose et c'est bien pour son pays. C'est aussi un excellent orateur. Mais pour moi, quand il parle de race ou de l'Afrique, c'est moins intéressant, parce qu'avec sa position de rassembleur, il fait tout pour ne rien dire en somme. Lui-même essaie d'en parler le moins possible, mais sa situation fait qu'il est obligé de le faire quand même un peu.

Je n'ai toujours pas compris la réaction des gens aux lendemains des élections. Pour les Noirs Américains, et les démocrates américains de tout bord, c'est tout à fait compréhensible, mais pour le reste du monde... Pour la question de la race (puisque c'est définitvement au menu des débats, plus personne ne peut le nier), disons que j'aime les choses concrètes. Je suis née dans un pays où le président était noir à ma naissance, donc de ce point de vue là il n'y a rien de nouveau. On me dira "c'est la première fois qu'un président américain est noir", oui mais et alors ? Cela ne signifie pas a priori que tout va changer pour les Noirs (comme la diminution des écarts entre les taux de chômeurs selon la race). Nous sommes dans un processus qui a commencé avec des gens qui ont donné leurs vies en Afrique et en Occident pour qu'un Obama puisse être adulé aujourd'hui, et d'abord on ne parle pas suffisamment de ces gens là (exemple, qui connaît vraiment Lat Dior ?). Ensuite, ce processus est très loin d'être achevé, cela va prendre encore plusieurs générations et d'ici là, avec ou sans crise, il faut vivre, aller à l'école, trouver un travail, payer son loyer, ses factures, et ce n'est pas Obama qui va faire tout ça. Une chose est sure, c'est que les Noirs Américains qui vivent dans les rues de leurs ghettos savent déjà ça et les jeunes Africains qui prennent les pirogues pour pouvoir travailler en Europe et aider leurs familles au péril de leurs vies le savent aussi. Obama est une manifestation d'un effort communautaire qui a été déployé, il n'est pas la source de cet effort. La source de cet effort, c'est cette humanité que partage les gens de tous bords qui ont une conscience sociale et vont jusqu'au bout de leur combat. À ces gens-là je dis merci. Et surtout, je me moque de leur couleur.

*

2 commentaires:

GANGOUEUS a dit...

Le débat racial intervient à l'état de grâce. Tu seras concernée. Parce que dans l'inconscient collectif d'une certaine Amérique et par extension, les noirs ne sont pas fait pour conduire les événements mais pour être subordonnés à ceux ci. Tu dis que tu es né dans un pays ou le président était noir. Certes, tu oublies de dire que ce président s'est cassé à l'Académie française et recevait ses ordres de Paris. Enfin, il est possible que tu sois né juste après son départ :o)

Obama indexé au Sénat, traité de menteur, il parait que de mémoires d'américain, cela ne s'était jamais produit pour un président américain dans une telle circonstance.

Obama est solide, il s'est à quoi s'attendre. Son intérêt n'est pas d'entretenir les particularismes, mais de rassembler. Mais de nombreuses de ses actions seront dénoncées parce qu'il est ascendant de noir.

@ suivre.

Ndack a dit...

En effet Gangoueus, quand ce président est parti, j'avais juste un an et une dent :o). Le multipartisme suivait quelques temps après, puis l'alternance politique s'est réalisé pendant mes vingts ans. Bien entendu, ce n'était pas facile ni pour mon pays, ni pour les autres pays africains. Mais il y a eu des hommes d'exception. Je me souviens même si c'est vaguement de l'ambiance après l'annonce de la mort de Sankara. Oui, l'Afrique a fait son petit bout de chemin. Au Mali, des étudiants ont donné leur vie pour renverser Moussa Traoré. Aujourd'hui le peuple malien est aussi celui qui demande sans problème à un ministre français comme Brice Hortefeux de rentrer chez lui les mains vides lorsque ce dernier vient proposer des accords sur l'immigration... Je pourrais continuer et passer par les luttes au Bénin, en Afrique du Sud, en Éthiopie, au Malawi, au Kenya... et la beauté de l'histoire c'est que cela continue ! Oui, cela continue, chaque pays à son rythme, les obstacles étant plus complexes chez les uns que chez les autres (taille du territoire et de la population, emplacement géographique, ressources naturelles, background historique, etc.)

Tu as raison, beaucoup de ses actions seront dénoncées parce qu'il est d'ascendance noir. Mais à notre niveau dans notre processus historique, je ne sais pas jusqu'à quel point on peut rassembler, ni ce que l'on peut réaliser de concret avec le rassemblement comme priorité au-dessus de tout dans une société aussi divisée. Je crois qu'à un moment donné, il faudra faire un choix. Pas entre les Noirs et les Blancs, mais entre les défenseurs de l'égalité et les autres.

Sinon, je crois Obama solide aussi. On verra bien... à suivre !